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"I am somebody" : L'obstination dans l'improbable réalisation de soi

par Jean-François VICTOR

 

Qui ne s'est jamais senti désemparé devant la nécessité d'affronter le marché de l'emploi, la rédaction d'une lettre de motivation, un choix professionnel parfois hasardeux et bien difficile à faire accepter par ses proches ?

 

Certes il y a des exceptions, mais s'il existe beaucoup de façons d'avoir peur de l'avenir et d'être d'une parfaite pleutrerie devant la vie, ces exceptions concernent malgré tout une proportion assez restreinte de la population mondiale. S'il est un sentiment largement partagé d'une extrémité à l'autre de la planète, c'est bien celui de la détresse devant la difficulté de choisir son orientation et celle d'affronter un marché de l'emploi partout toujours plus saturé et instable.

 

C'est probablement ce qui explique l'extraordinaire succès de ce film qui atteint, à ce jour, le chiffre record de 143 millions d'entrées et dont c'est le sujet.

 

Pour l'aborder, Derek Yee nous propose une incursion dans la vie des jeunes qui choisissent de tenter leur chance comme "intermittents du cinéma" et convergent vers Hengdian, le Hollywood chinois. Mais ce qui distingue ces "extras" des intermittents du monde entier, c'est l'effet de masse, car nous sommes en Chine et les proportions ne sont pas les mêmes, il y est donc beaucoup plus difficile qu'ailleurs de multiplier les contrats de quelques heures et d'en vivre... De ce fait, il se crée autour des plateaux de Henddian une société précarisée qui survit au jour le jour dans la fragile illusion qu'un jour peut-être...

 

C'est une situation qui a Cannes ne nous est pas totalement étrangère, puisqu'une très large proportion des contrats de travail en cours dans la commune correspondent à des statuts d'"extra" ou de CDD saisonnier. Et que par ailleurs, pendant le Festival, les milliers de festivaliers qui viennent chaque année faire la fête chaque nuit autour du Petit Majestic est constituée d'intermittents du monde entier. Peut-être se consolent-ils dans la bière de ne pas avoir trouvé sur la Croisette le contrat qu'ils espéraient...

 

Dans une démarche qui se veut humaniste et délibérément compassionnelle, Derek Yee s'emploie à nous faire vivre au plus près cette détresse et à nous faire partager la pitié qu'elle lui inspire. Nous éviterons de nous poser la question de la sincérité de sa démarche, certains critiques se la sont posée. L'important pour nous, c'est : est-ce qu'il atteint son objectif ?

 

Peng, le héros du film est un jeune chinois issu du milieu rural qui rêve de devenir acteur et qui décide de vivre ce rêve malgré l'avis dissuasif de ses parents qui mesurent le caractère hasardeux du projet. Mais Peng est d'un naturel ostensiblement têtu ; il appartient à cette catégorie de jeunes qui sous l'effet de l'optimisme démesuré de leur âge, anticipent le moment de s'éloigner de leur famille et suivent avec une bonne part d'aveuglement une aspiration pratiquement absurde, même si c'est imprudent.

 

Comme toute cette jeunesse venue des quatre coins de la Chine pour tenter sa chance dans les studios de Henddian, Peng traverse en chemin de fer l'immense pays, puis cherche à se loger aussi bon marché que possible. Après quoi, il demande l'indispensable carte professionnelle et commence inlassablement à postuler aux castings quotidiens des films en cours.

 

Derek Lee nous entraîne dans une suite d'épisodes dans lesquels déconvenues et sursauts d'optimisme se succèdent sur un rythme effréné et volontairement désordonné. Le film commence et s'achève sur l'observation des péripéties de Peng, mais d'autres personnages interviennent et interfèrent afin de nous donner un panorama complet de la détresse collective ainsi que du malaise psychologique que partage tout le milieu des "extras" du cinéma chinois. A partir du cas de Peng, le film devient rapidement une fresque sociale dont il faut saluer l'extrême réalisme, la caméra ne nous épargne rien.

 

La caméra s'attarde sur le pittoresque de cette ville aussi factice qu'Hollywood, dominée par une réplique du Palais impérial de Pékin où devant une Tseu-Hi plus qu'ordinaire, un réalisateur exaspéré fustige le manque de conviction d'autres intermittents qui - comment en serait-il autrement ? - ont bien du mal à entrer dans le personnage princier dont ils sont supposés interpréter quelques répliques.

 

Surcroît de désillusion, un bon tiers des tournages sont consacrés au conflit historique sino-japonais et se déroulent au milieu d'une débauche d'explosions de bombes factices, dans un terrain vague balayé par la pluie, la majorité des intermittents recrutés jouant le rôle de cadavres trempés jusqu'aux os, éclaboussés de boue et de maquillage sanguinolent. Cette simulation de guerre ne fait pas de victimes, mais elle est meurtrière pour le rêve que s'était construit la multitude des figurants étendus au sol. La puissance allusive de cet épisode est très convaincante, c'est certainement un des moments forts du film.

 

En fin de compte, ce long-métrage (c'est un euphémisme, car il dure 2h30) qui pourrait être désespérant doit tout au contraire s'interpréter comme une ode à l'optimisme et à l'obstination indéfectible de la jeunesse, car ces personnages sont étonnamment courageux et si les déconvenues se succèdent, inlassablement, ils les surmontent. Cette jeunesse chinoise est extraordinairement têtue, c'était d'ailleurs spontanément ma première conclusion en suivant l'interview de Wang Ting par Serge le soir de l'ouverture du Festival, puisqu'elle a elle-même vécu et victorieusement surmonté les tribulations des extras du cinéma chinois.

 

 

 

 

 

Le commentaire de notre ami-adhérent JUVENAL

Une mention spéciale pour le très court métrage illustrant le prix Nobel décerné au quartet qui a mené le dialogue national en Tunisie. Très émouvant, parfaitement réalisé.

Narcisse

De belles images, des interprètes parfois remarquables, un film imparfait, peut-être, mais intéressant.
Le titre français du film peut surprendre. A l'issue de la projection, la réalisatrice l'a justifié en invoquant le trouble du miroir liquide qui renvoie au Narcisse de la mythologie une image un peu confuse et sans cesse mouvante. 
En fait tout le film est construit autour de ce thème, par un jeu de miroirs de plus en plus complexe. 
Hind, le personnage central, ne cesse de chercher son propre reflet dans la mise en scène théâtrale de son propre passé. Si son mari Taoufik rédige le texte et dirige d'abord les acteurs, elle finira par prendre sa place. Son rôle sera triple, d'où trois reflets différents,  écrire les répliques, incarner son propre personnage  et mettre en scène le spectacle. 
On la verra aussi, dans une séquence étonnante, jouer avec des figurines, un derviche tourneur et une danseuse, m'a-t-il semblé, et se représenter elle-même dans un scénario inspiré par ses souvenirs d'enfance. 
Enfin sa relation presque fusionnelle avec la figure ambiguë de son frère Mehdi lui renvoie encore une image d'elle-même où se mêlent nostalgie d'une enfance pourtant douloureuse, reconnaissance pour une aide morale et financière, mais aussi dépendance et soumission dont seule la mort tragique de Medhi pourra la délivrer.
De même Taoufik ne se voit sans doute pas tel qu'il est vraiment, metteur en scène raté et mari tyrannique. Il est sans doute persuadé de son propre talent, et lorsque les doutes l'assaillent, ou que les problèmes financiers deviennent plus pressants, il se réfugie dans la violence ou dans l'alcool. Ainsi le miroir dans lequel il se mire est suffisamment troublé pour lui renvoyer une image point trop déplaisante.
Mehdi est visiblement charmé par sa propre apparence, son sourire ravageur, et ses talents de musicien.  C'est de tous les personnages celui dont le narcissisme et le plus évident. Peut-être pourrait-on même établir un lien entre ses penchants homosexuels et la fascination qu'il semble éprouver pour son propre corps.
Ainsi tous le film est-il centré autour d'une recherche de soi, de ses racines, de son passé, mais cette recherche a un but bien défini, s'affranchir de toutes ces pesanteurs, dénouer ces contraintes, accéder enfin à la liberté. 
Que dire des personnages ?
Hind, toujours au centre du film, nous séduit d'emblée par sa beauté sculpturale. Par son port, sa dignité, sa sérénité elle m'a parfois rappelé une actrice, pourtant bien éloignée d'elle dans le temps et dans l'espace, Ingrid Bergman. Difficile de croire, comme l'a révélé la réalisatrice, que ce soit son premier vrai rôle au cinéma. Sans doute une personnalité dont on reparlera. 
On la voit subir patiemment le mépris et les insultes d'un mari insupportable, jusqu'au moment de la révolte. Tout les spectateurs espèrent qu'elle finira par divorcer;
Autour d'elle des personnages féminins, presque toujours valorisés, la servante au grand coeur, confidente et consolatrice, la fiancée de Mehdi, si digne dans sa douleur de femme délaissée.
La mère a été rendue folle à la fois par la violence de son mari et par le départ de Mehdi qu'elle a elle-même provoqué. Son délire est représenté de façon, peut-être, un peu trop démonstrative. Mais le personnage n'est pas entièrement négatif, même si, dans la mise en scène théâtrale, elle est promise à une séance d'électrochocs.  Dans un instant touchant de lucidité elle reconnaîtra  sa fille et l'embrassera avec une tendresse retrouvée. 
Les personnages masculins ne bénéficient pas d'un traitement aussi bienveillant.
Nous avons déjà évoqué Taoufik et Mehdi. 
Le frère aîné, tombé simultanément dans la délinquance et l'intégrisme, n'apparaît guère que dans la mise en scène théâtrale. Il m' a paru un peu trop caricatural pour être crédible. Du reste il participera avec enthousiasme au ballet final. Remords tardifs ou volonté de réconciliation générale ?
L'amant jaloux de Mehdi apparaît comme une figure malfaisante, remuant dans l'ombre des pensées nécessairement sombres. Croyant, à tort, semble-t-il que Mehdi va le quitter, il lui plongera un poignard dans le coeur . Aucune goutte de sang ne nous sera épargnée. 
Les autres personnages masculins, simples figurants dans les scènes de fêtes musicales plus ou moins alcoolisés, acteurs amateurs, ou chasseurs d'homosexuels, ne sont guère que des comparses à peine esquissés.
La richesse de ce film repose aussi sur l'image qu'il nous donne de la Tunisie d'aujourd'hui, sur le rappel discret des journées révolutionnaires, mais surtout sur l'engagement de sa réalisatrice. De ce point de vue, la discussion qui a suivi la projection m'a paru présenter un grand intérêt.

Une mention spéciale pour le très court métrage illustrant le prix Nobel décerné au quartet qui a mené le dialogue national en Tunisie. Très émouvant, parfaitement réalisé.

Juvenal, un de nos adhérents, nous adresse son analyse sur le film

 

Saint Amour

 

Ce film est placé sous la double invocation de Bacchus et de Vénus, ou, si l'on préfère, de Dionysos et d'Aphrodite. Si ces deux divinités ont l'occasion d'assister à une projection, je doute qu'elles en sortent ravies.

 

Bacchus, d'abord, auraient toutes les raisons de s'estimer trahi. S'il est le dieu de l'ivresse, il est d'abord celui du raisin, des vendanges, de l'amour de la vigne. Tous les crus, tous les terroirs, ne se valent pas à ses yeux. Les Grecs, comme les Romains, appréciaient les vins de qualité, savaient laisser vieillir les bonnes amphores, étaient capable de déguster un bon vin et d'en savourer toutes les particularités.

 

Bruno apparaît, dès le début du film, plutôt comme un adepte du binge drinking (*), ou, si l'on préfère, du speed drinking, atteindre l'ivresse dans le laps de temps le plus court possible. Il suffit, pour cela, de parcourir les stands du salon de l'agriculture en avalant chaque fois d'un trait le vin qui est proposé. Peu importe qu'il s'agisse d'un prestigieux pouilly fuissé ou d'un cru plus ordinaire le seul but est de s'enivrer. A aucun moment nous ne voyons Bruno, ou son père Jean, déguster un vin et essayer de déterminer en quoi il diffère de celui qui a précédé ou suivra. On se demande vraiment pourquoi ils prétendent suivre la route des vins, puisque leur seul critère semble être le degré d'alcool de la boisson qu'ils absorbent.

 

Autre motif de scandale, pour le dieu du vin, l'ignorance crasse des deux compagnons dans ce domaine particulier. Certes Bruno a acheté un petit dépliant d'information dans une station-service au bord de l'autoroute. Mais sa compétence oenologique paraît cruellement courte.

Les prétendus dix degrés de l'ivresse, qu'il énumère complaisamment, sont pure absurdité. Il ne s'agit pas, comme on voudrait le faire croire, d'une initiation progressive, d'une sorte d'ascension presque mystique. En fait, une fois avalé le verre de trop, les comportements varient d'un individu à un autre, d'une occasion à une autre, peut-être d'une boisson à une autre. Le buveur peut devenir violent ou sentimental, exubérant ou somnolent, rire ou pleurer, la seule variable à prendre en compte est son état de délabrement physique et cérébral. Dans tous les cas l'issue est commune, le coma éthylique qui amène les deux compères à se retrouver au milieu des porcs exposés au Salon. Petit moment de vérité.

 

Vénus est-elle mieux servie ? Examinons les personnages féminins présents dans le film.

Une figure plutôt positive, la femme de Jean. Malheureusement elle n'est plus de ce monde, et si Jean la tient régulièrement informée des événements quotidiens, sa messagerie sera bientôt saturée.

 

La servante du restaurant (bonne continuation) paraît totalement aboulique. Elle emmènera dans sa chambre quiconque voudra bien l'y accompagner. Jean se contentera de lui donner une leçon d'optimisme, apparemment bien reçue. D'autres compagnons pourraient avoir un comportement bien différent, sans que la déesse de l'amour y trouve vraiment son compte.

Bruno connaîtra une aventure éphémère avec l'employée d'une agence immobilière. Mais il ne sera que l'instrument d'une vengeance ou d'un chantage exercé entre deux lesbiennes. Rien à voir avec l'amour. De plus toute cette séquence est d'une totale invraisemblance depuis l'entrée de Bruno dans l'agence (que vient-il y chercher ?) jusqu'au dénouement final. Seuls les tatouages qui décorent le corps de la jeune femme paraissent authentiques.

 

Peut-être un peu de tendresse dans l'épisode qui voit Jean partager le lit d'une vieille dame encore appétissante. Mais ils oublieront de faire l'amour.

Reste l'ultime épisode, ou comment faire fructifier le dernier ovule. Si l'hôtesse ne peut se résoudre à casser des oeufs pour préparer une omelette, c'est qu'elle sait que l'ovule, qu'elle porte, constitue sa dernière chance de procréer. Symbolisme délicat !

Il ne lui restera qu'à demander aux trois hommes présents ce soir là de faire le nécessaire pour féconder le dernier survivant.

 

Difficile d'y croire, d'autant que l'on peut s'interroger sur le fonctionnement du futur ménage à quatre proposé dans les dernières images.

 

Si Bacchus et Vénus risquent de quitter la salle avant la fin de la projection, une autre divinité de l'Olympe peut-elle en tirer quelque satisfaction ? On pense naturellement à Cérès, ou Déméter, déesse de l'agriculture. Effectivement la visite du salon ne manque pas d'intérêt, et le taureau Nabuchodonosor est particulièrement photogénique. Son maître, hélas, lui ressemble un peu. Où est le fringant jeune homme des Valseuses ?

 

Diane-Artémis apprécierait sûrement les belles images de la cavalière guidant le taxi, ou chevauchant à cru dans les allées du salon. Ce sont des moments de grâce, particulièrement appréciables dans un ensemble qui en manque cruellement.

 

Quel dieu pourrait s'intéresser aux relations père-fils, quand Jean s'efforce de retrouver l'affection de Bruno et de le persuader de prendre sa succession dans la ferme ? Je crains qu'aucun ne se sente vraiment concerné, d'autant que c'est une histoire qu'ils ont vu mille fois au cinéma ou ailleurs. Les ficelles sont un peu trop grosses et malgré le talent des acteurs difficile d'être vraiment ému.

 

Le film ne fera sûrement pas un tabac dans les salles de projection de l'Olympe. Sans doute sera-t-il mieux accueilli sur cette terre.

 

(*) Binge drinking = biture express usage anglosaxon considéré comme un problème majeur de santé publique

 

Les innocentes

par Juvenal (adhérent de Ciné Croisette)

 

Ce beau film s'organise, semble-t-il, autour de trois mots-clés, Soumission, Transgression, Rémission.

 

Soumission, d'abord, des religieuses qui doivent obéir aveuglément aux règles de leur ordre, et aux décisions sans appel de la mère abbesse. Ce renoncement définitif à tout choix personnel leur impose des contraintes multiples. Elles en viennent à haïr leur propre corps, impur par nature et définitivement souillé par le viol qu'elles ont subi. Respectant strictement les interdits qui leur sont imposés, la plupart refuseront d'être examinées, même par une femme se présentant comme médecin.

 

La supérieure du couvent pousse à l'extrême obéissance aux règles et crainte du scandale. Elle n'hésitera pas à déposer des nouveaux-nés au pied d'une croix, à la lisière de la forêt. Ils ne survivront pas longtemps au froid glacial de ce mois de décembre, et aux loups dont on entend le hurlement au moment précis de l'abandon. Ce n'est pas sans raison qu'une religieuse, au moment de la révélation de ces crimes, prononcera le mot "meurtrière".

 

Ce fanatisme religieux pourrait paraître excessif. Il n'est pourtant pas sans exemple. Près de 800 squelettes de nouveau-né ont été découverts à côté d'un ancien couvent catholique de la ville de Tuam en Irlande. Leurs mères n'étaient pas des religieuses violées, mais de jeunes femmes enceintes hors mariage.

La mère abbesse est d'ailleurs cruellement punie. Pour ne pas désobéir à la règle monastique, elle refusera de se laisser soigner, et mourra de la syphilis, une maladie "honteuse".

 

Mais à l'esprit de soumission s'oppose la volonté de transgression. Les deux personnages les plus positifs, l'infirmière et le médecin, sont dans une situation de transgression, à la fois par leur personnalité et par leur comportement.Introduite dans une communauté de religieuses catholiques, la jeune femme se définit ailleurs comme communiste, même si elle n'a pas la carte du parti, et, probablement, donc, comme matérialiste et athée.

 

Elle ne se contente pas de quitter son poste sans autorisation, d'emprunter un véhicule militaire, et de dissimuler à ses supérieurs des activités illicites. Même dans sa pratique médicale elle ne respecte pas les règles habituelles. Alors qu'elle n'a pas achevé ses études, elle n'hésite pas, pour sa première intervention, à pratiquer une césarienne, opération réservée aux seuls gynécologues et interdite, en principe, aux médecins qui ne sont qu'obstétriciens.

 

Son amant, et futur complice, s'affirme comme juif dans un pays connu pour son antisémitisme. Il reconnaît d'ailleurs détester la Pologne, peut-être pour cette raison. Ses parents sont bien morts à Bergen Belsen, en Allemagne, mais sans doute après être passé par Auschwitz, destination habituelle des juifs français déportés par les nazis.

 

Mais ce sont des religieuses qui sont l'objet des transgressions les plus violentes.

D'abord le viol collectif dont elles sont, non pas les responsables, mais les victimes, innocentes comme l'indique le titre du film. Innocentes et néanmoins coupables ou, du moins, se considérant comme telles. Le viol, crime impardonnable en toute circonstance, est particulièrement odieux dans une communauté religieuse. A lui seul il constitue l'événement scandaleux source de tous les autres.

 

Transgression volontaire, celle-là, lorsqu'une religieuse brise symboliquement la clôture du couvent pour aller chercher un secours médical.

Transgression, encore, quand des religieuses acceptent de bon gré leur grossesse, et sont prêtes à chérir l'enfant qu'elles vont mettre au monde.

L'une d'elles, décidée à vivre sa vie, quittera joyeusement l'habit monastique, en abandonnant son enfant, confié à ses soeurs en religion.

Transgression ultime lorsqu'une religieuse, désespérée par l'enlèvement de son nouveau-né, se donne la mort en se jetant par la fenêtre de sa cellule.

 

Les tourments physiques et psychologiques que subissent la plupart des protagonistes du film pourraient conduire à un absolu pessimisme. C'est alors qu'intervient un troisième élément, la rémission. Ce mot peut être entendu dans un double sens,

La rémission, c'est, au cours d'une longue maladie, une période d'apaisement des souffrances et de retour au calme. La rémission des péchés, c'est aussi, offerte aux croyants, la possibilité du pardon après confession et pénitence

 

Au couvent, une vie tranquille est possible, au delà des sentiments de culpabilité et d'angoisse. Lorsque les religieuses chantent, lorsqu'elles s'occupent de la cuisine, lorsque, dans des moments de récréation, elles lisent, tricotent, ou jouent aux dames, il semble qu'elles retrouvent une certaine sérénité. Notons, d'ailleurs, un réalisme presque documentaire dans la peinture de la vie monastique. Même les choeurs de femmes sont éloignés de la perfection formelle qu'aurait pu atteindre une chorale professionnelle. L'émotion qu'elles suscitent n'en est que plus forte.

 

L'hôpital, lui-même, malgré la gravité des blessures qui y sont traitées, apparaît comme une oasis privilégiée dans un pays dévasté par la guerre. Même si certaines séquences évoquent les séries télévisées, dites médicales, si répandues aujourd'hui, la tonalité générale est plutôt sereine.

Autre refuge, la salle des fêtes, où tout semble oublié au son du violon et de l'accordéon, et où se nouera un lien amoureux entre le médecin et l'infirmière.

 

Enfin, dernier élément du paysage, tout aussi essentiel, la forêt enneigée, lieu de passage obligé entre l'hôpital et le couvent, pleine de dangers et d'embûches, mais aussi d'une beauté à couper le souffle.

 

L'espoir d'un rachat possible, d'une rémission des péchés, volontaires ou non, apparaît clairement surtout dans la dernière partie du film. Ces enfants, conçus au début du printemps, dans la violence la plus abjecte, vont naître un peu avant la Noël. On ne peut écarter l'idée que leur venue au monde n'est pas sans rapport avec l'attente de la naissance du fils de Dieu. Comme Lui, ils sont porteurs d'espoir, même s'il ne s'agit que d'une rémission, au sens premier du terme, puisque la Pologne va vivre pendant près de quarante cinq ans sous le joug soviétique.

Sans doute a-t-on un peu de mal à croire à la réalité des scènes finales, le couvent transformé en maison d'enfant et les religieuses en mères attentionnées. Mais rien ne peut abolir l'espérance.

 

En fait tout est dit dans le beau cantique chanté par les religieuses, Rorate Caeli desuperC'est une mélodie pour le Temps de l'Avent, donc parfaitement à sa place liturgique dans les célébrations précédant Noël. Que dit ce chant ? Peccavimus et facti sumus tamquam immundus nos..., nous avons péchés et sommes devenus impurs, nous sommes tombés comme des feuilles mortes, et nos impuretés nous ont balayés comme le vent. Et plus loin, la réponse du Seigneur : Consolamini, consolamini, populus meus, cito ueniet salus tua Console-toi, console-toi, mon peuple. Bientôt viendra ton salut. Et, plus loin, Saluabo te, noli timere (Je te sauverai, n'aies pas peur)

 

Ainsi ce film partant d'un fait réel d'une indicible horreur est-il finalement porteur d'espoir.

MEDIAPART : LES 8 SALOPARDS ET LE SANG DE L'HISTOIRE
Article très substantiel et très documenté de Mediapart du 6 Janvier.
MEDIAPART - Les 8 salopards.pdf
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Kabukicho Love Hotel (7/1/2016]

Au prime abord, le film ne joue pas la carte de l'exotisme. Le Love Hotel japonais, n'est pas très différents de bien des hôtels discrets , de Paris et de Province, susceptibles d'accueillir, pour quelques heures ou toute une nuit, des couples plus ou moins clandestins. La différence est que les hôtels japonais reçoivent aussi des couples tout à fait légitimes, mais qui ne disposent  pas chez eux de la même tranquillité et d'un décor aussi somptueux.

 

Cela dit, les personnages du film qui fréquentent l'hôtel sont tous engagés dans des relations secrètes ou vénales. Leurs rôles sont clairement établis. Les hommes travaillent dans cette entreprise un peu particulière poussés par des nécessités économiques (après Fukushima). Les femmes y viennent par obligation professionnelle, prostituée en compagnie d'un client, jeune artiste pour gagner la faveur d'un producteur qui lancera leur carrière, fugueuse pour bénéficier d'un bon lit, d'une douche et d'une occasion de grande lessive, fonctionnaire de police pour obtenir une promotion, jeune actrice porno pour tourner quelques scènes hard.

 

De façon un peu surprenante vont se produire en ce lieu des rencontres dignes d'un vaudeville fin de l'avant-dernier siècle. Parmi le personnel de l'établissement, l'un découvrira que sa propre soeur joue dans des films pornos, l'autre que son amie se prépare à le tromper avec un homme plus âgé mais utile à sa carrière. Au même endroit un autre personnage découvrira que la femme qu'il aime se prostitue.

 

Etant donné le lieu et le sujet de l'action on pourrait s'attendre à des scènes plutôt crues. En fait tout l'arsenal des films pornos japonais est évoqué : scènes de baignoire et de douche, déshabillés suggestifs, étreintes variées et plus ou moins brutales, caresses délicates ou énergiques. Il est même fait mention d'un sex toy, sans toutefois que l'objet soit présenté. Point culminant, dans la grande tradition du porno nippon, une scène de sexe (fictive ?) est largement floutée. Le résultat ne manque pas de surprendre : à aucun moment les limites d'une stricte décence ne seront franchies. Les amateurs de scènes hard seront cruellement déçus.

 

La même "gentillesse" se reflète dans le comportement des personnages principaux. On trouve pêle-mêle une prostituée au grand coeur, un futur proxénète prêt à s'amender, un gigolo prompt à pardonner les infidélités de sa compagne, une jeune artiste qui finira,semble-t-il, par renoncer à une belle carrière pour rester fidèle à son ami, même si ce dernier manque curieusement de conviction. On cherche vainement des méchants dans ce film, à l'exception de deux yakusas, amateurs de golf et mécontents de leur rabatteur.

 

Le personnage de la prostituée coréenne est particulièrement significatif. Si elle se prostitue c'est pour une bonne cause, toujours économique : acheter un commerce qu'elle gèrera avec sa mère. Touchant ! Elle accepte que son amant arrondisse ses fins de mois en jouant au gigolo. Elle prend en pitié un client particulièrement violent (encore une victime de la crise économique et du tsunami) et acceptera, contre toute attente, de partager avec lui un moment d'intimité. Même le gérant de l'officine qui emploie ses services est parfaitement sympathique. Notons que la nationalité de la prostituée est probablement sans rapport avec la reconnaissance récente par le Japon qu'un grand nombre de Coréennes  ont été enlevées pendant la 2ème guerre mondiale pour servir de femmes de réconfort aux soldats nippons.

 

Jugement global. Quoique bien long, le film se laisse voir sans ennui. Les comédiens sont assez convaincants, même si certains en font un peu trop, la fugueuse, par exemple. Quelques éléments restent mystérieux, comme le fait que la jeune artiste ne se déplace pas sans porter sa guitare sur le dos. Est-ce un symbole sexuel ?

 

Le principal intérêt du film me paraît être son amoralisme tranquille : les impératifs économiques expliquent et justifient tout. On peut travailler dans un hôtel de passe, vendre son corps, éventuellement voler et assassiner ( la servante de l'hôtel). Si c'est pour la bonne cause (le yen), tout est pardonné.

 

Ce film montre donc bien l'influence décisive des infrastructures économiques sur les comportements humains, y compris amoureux. Je le rangerais volontiers dans la catégorie des productions porno-marxistes, si les scènes de sexe étaient plus explicites (sexplicites ?).

Juvénal

Carol de Todd Haynes : Critique de l'Obs
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Analyse Emmanuel Burdeau (Mediapart)
La passion de deux femmes à New York, au début des années 1950. Dixhuit ans après avoir raconté David Bowie, Todd Haynes filme la magie de la rencontre et l’amour comme un grain, un virus, une maladie de peau.
Todd Haynes a réalisé en 1998 un biopic de David Bowie, renommé Brian Slade pour l’occasion. L’accueil fut tiède. Velvet Goldmine renferme pourtant une idée précieuse, que la coïncidence de la sortie de Carol avec la mort du chanteur remet dûment en mémoire.(...)
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Tampopo 

Comment la tenancière d'une modeste gargote va voir son chiffre d'affaire s'améliorer, sa clientèle s'élargir, enfin son établissement se transformer, grâce à l'intervention providentielle d'un amateur de soupe de nouilles.

C'est donc une success story, à l'américaine, cent fois filmées, mais présentes aussi dans la vie réelle, voir Apple ou Microsoft.

Mais il ne s'agit pas ici de l'ascension irrésistible d'une start up, d'une star, ou d'un homme politique, mais de la recherche acharnée d'une recette de cuisine.

Notons que tous les éléments nécessaires au succès sont réunis : la présence d'un coach dont la personnalité singulière méritera plus loin un examen plus détaillé, des tentatives multiples, longtemps infructueuses pour améliorer le produit, un entraînement physique impitoyable, naturellement conduit sous l'autorité du coach, le recours au chronométrage des différentes séquences de l'élaboration de la soupe. N'oublions pas, à ce propos, la place que Taylor et ses disciples accordent à cet instrument dans l'organisation scientifique du travail (O.S.T.)

Dernier moyen utilisé dans cette quête éperdue, l'espionnage de la concurrence.

Si l'on a longtemps considéré l'espionnage industriel comme une spécialité chinoise ou japonaise, les révélations récentes de Wikileaks montrent que les Etats-Unis l'ont pratiqué, à grande échelle, au détriment, en particulier, des entreprises européennes.

Quoi de plus respectable que de peindre l'ascension d'une entreprise commerciale grâce à l'utilisation méthodique des instruments les plus efficaces, même s'ils ne sont pas toujours moralement irréprochables ? Seulement il ne s'agit ici ni d'ordinateurs, ni de logiciels mais de soupe aux nouilles. Traiter ainsi d'un sujet sérieux, et même grave, sur le mode de la dérision a un nom, le Burlesque, jadis illustré par Scarron, premier mari de Mme de Maintenon, dans son Virgile Travesti.

Appartiennent à ce genre les multiples intermèdes, souvent sans aucun lien avec l'action principale, qui émaillent le récit.

Particulièrement savoureux les ébats du jeune couple, sans doute un yakusa et sa compagne, qui associent érotisme et gastronomie. Parmi les morceaux d'anthologie, la dégustation d'un sein parfait, assaisonné avec sel et citron, ou nappé d'une crème onctueuse, l'échange d'un jaune d'oeuf cru (opération plus facile avec un oeuf dur, mais moins troublante), l'utilisation originale de crustacés encore vivants. L'ingéniosité du dispositif utilisé, en la circonstance, pour canaliser leurs derniers soubresauts mérite d'être soulignée.

Cette dernière séquence réunit, comme ailleurs dans le film, gastronomie, érotisme et mort. Il en sera de même dans la séquence de l'exécution du jeune homme. Atteint de plusieurs balles dans le ventre, il confie à son amie éplorée une recette originale, quoique assez peu appétissante, confectionnée à partir des entrailles d'un sanglier fraîchement abattu.

De même la dégustation de l'huître vivante, qui se venge par une petite coupure. La pêcheuse saura soigner la blessure, première hémorragie avant le bain de sang final, avec délicatesse et efficacité.

Parmi les autres intermèdes, mentionnons le repas dans le restaurant français, qui réunit hommes d'affaires prospères ou yakusas bien gras. Le dernier de la bande, en choisissant avec pertinence mets et boisson, met en évidence l'ignorance, voire la barbarie, de ses convives qui suivent aveuglément le choix du capo mafioso, et arroseront avec de la bière, même Heineken, une sole meunière. Sa carrière toutefois risquera d'en souffrir.

De même la leçon de bonnes manières, données à une troupe de joyeuses écolières, tourne court. Sommées de manger des spaghettis proprement et sans bruits intempestifs, les jeunes filles ne tardent pas à renouer avec les modes de consommation ancestraux et avalent leurs pâtes sans montrer beaucoup de distinction. Même leur professeur semble suivre leur mauvais exemple.

Revanche du Japon traditionnel sur une certaine modernité ? Ce n'est pas impossible, comme le montre le personnage de Goro.

Visiblement échappé d'un western spaghetti de Sergio Leone, ce cowboy mélancolique paraît égaré dans un monde étranger. Son intervention sera décisive. Pourtant il reste curieusement absent. On pouvait s'attendre à ce que la success story s'accompagne d'une love story, et qu'il finisse par tomber dans les bras de Tampopo. Il n'en est rien. Trois raisons peuvent être avancées.

I'm a lonely cowboy. Le cowboy, héritier du chevalier errant du moyen-âge, ne fait que passer. De même que son modèle, après avoir tué le dragon, délivré la princesse ou découvert le saint graal, repartait sur son destrier pour de nouvelles aventures, le cowboy standard ne s'attarde pas. Après avoir massacré quelques indiens, séduit la fille du saloon, ou livré à la justice un hors la loi, il remonte sur son mustang. Faute de mustang, Goro grimpe dans son gros camion, en abandonnant Tampopo. Peut-être le décorateur aura-t-il plus de chance.

Deuxième explication . Goro, perpétuel donneur de leçons, monsieur je-sais-tout, est franchement insupportable. On n'est pas surpris que sa femme l'ait quitté en emmenant leur enfant. Tampopo, qui n'est pas sotte, l'a bien compris, et, une fois ses compétences mises à profit, le laissera partir sans regret.

Dernière interprétation : Toro incarne un certain modèle américain, Tampopo un Japon traditionnel. Il y a, sans doute, des leçons à recevoir de l'ancien ennemi, devenu protecteur. Il faut s'inspirer des méthodes américaines si l'on veut développer une entreprise, accroître son audience, augmenter ses bénéfices. Mais il n'est pas question de l'autoriser à franchir le seuil de notre intimité. Il faut savoir utiliser ses compétences, mais ne pas en tomber amoureux.

Ce film, très riche, semble bien avoir aussi une dimension politique.

Juvénal

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