La voiture de Reynolds Woodcock : Pour les amateurs de voiture : C'est une Bristol 405, la voiture éditée à seulement quelques centaines d'exemplaire et dont, dans les années 50, la plupart des propriétaires faisaient partie de la noblesse anglaise.
Interview de Daniel Day Lewis sur France Inter :
https://www.franceinter.fr/emissions/boomerang/boomerang-13-fevrier-2018
Phantom Thread
Auteur Charles Declercq source http://www.cinecure.be/Phantom-Thread-1971
Un film sulfureux, de toute beauté. Une relation amour/haine très bien tissée. 88/100
Synopsis : Dans le Londres glamour des années 50, le célèbre couturier Reynolds Woodcock et sa sœur Cyril sont au cœur de la mode britannique, habillant la famille royale, les stars de cinéma, les héritières, les mondains et les dames dans le style reconnaissable de la Maison Woodcock. Les femmes défilent dans la vie de Woodcock, apportant à ce célibataire endurci inspiration et compagnie, jusqu’au jour où il rencontre Alma, une jeune femme au caractère fort qui deviendra rapidement sa muse et son amante. Lui qui contrôlait et planifiait sa vie au millimètre près, le voici bouleversé par l’amour.
Acteurs : Vicky Krieps, Daniel Day-Lewis, Lesley Manville
Il y aura bientôt trois ans que les salles belges projetaient le film précédent de Paul Thomas Anderson, un réalisateur que nous apprécions (généralement !).Inherent Vice nous avait en effet déconcerté, plus encore que The Master ! A un point tel que nous recommandions le film sans pouvoir autant lui donner une cote, une appréciation chiffrée ou en étoiles ! Ici, nous découvrons un film remarquable avec un interprète impérial en la personne de Daniel Day-Lewis dans le rôle d’un grand couturier, Reynolds Woodcock. Selon le dossier presse, ce patronyme a été suggéré par Daniel Day-Lewis à Paul Thomas Anderson sous forme de ’joke’. Ce nom aurait tellement amusé le réalisateur qu’il a décidé de l’utiliser pour son film consacré à un couturier inspiré de l’Espagnol Cristóbal Balenciaga (1895-1872).
Si Daniel Day-Lewis sait donner vie à un grand couturier et de façon remarquable (et avec son véritable accent britannique), c’est surtout grâce à une grande préparation en amont : « Comme à son habitude, Daniel Day-Lewis s’est complètement investi dans son rôle, regardant notamment de nombreuses archives de défilés de mode des années 40 et 50, étudiant également les plus grands couturiers, effectuant un conséquent travail de recherches au Victoria and Albert Museum de Londres. Il a aussi appris comment confectionner des vêtements sous la houlette de Marc Happel, directeur du département costumes du New York City Ballet. Il a poussé la préparation jusqu’à créer lui-même une robe pour sa femme, Rebecca Miller (source : Allociné) ». Il est aidé par des comédiens professionnels même si quelques personnes issues du monde de la couture jouent quelques rôles. Toutefois, si le monde de la mode est important, il est ici second (pas secondaire) car l’essentiel tourne autour des relations d’un homme à femmes... sans femme. Nous jouons ici sur les mots...
Reynolds Woodcock n’est pas marié, mais il est entouré, voire obsédé par deux femmes, sa soeur tout d’abord, bien vivante autour de lui, passionnante et passionnée, et sa mère ensuite, qui l’obsède, du moins son souvenir puisqu’elle est décédée. Il vit de et surtout pour son travail, jusqu’à l’obsession. Il crée pour les grands ce ce monde, joue dans la cour des grands, les fréquente et personnalise chacune de ses créations qui n’a de valeur pour lui que pour autant que celles qui les portent le fassent dans le respect de l’œuvre créée. Le couturier est obsédé par le sous-texte que peut cacher un vêtement, via une doublure notamment, chacune de ses robes peut celer un secret, voire le sceller, un fil caché (Phantom Thread), une écriture secrète, connue seulement du couturier !
L’important est donc la femme, ou plutôt une femme, fruit d’une rencontre due au hasard et qui viendra bouleverser l’existence du Créateur. C’est que celle-ci sans être l’épouse, sera installée dans la maison du Maître, au grand dam de la soeur, mais aussi de Reynolds pour qui le silence, la quiétude, le respect des habitudes et de certaines règles sont essentiels et vitaux. Or Alma (Vicky Krieps que l’on avait déjà appréciée dans Le jeune Karl Marx) est tout à l’opposé de son compagnon et ne peut se couler dans le moule qui lui est proposé par défaut. Par défaut puisqu’il n’y a même pas de moule, la place qu’elle tient ou voudrait tenir n’est pas prévue et Alma en vient à être imprévisible, incontrôlable et agaçante pour Reynolds... jusqu’à ce comme une robe que l’on remet sur le métier, Alma devient, du moins en apparence, celle qui est condamnée à n’être là que comme une pièce rapportée. Jusqu’à ce qu’ils finissent par se marier et où elle acquiert tous les droits d’occupation de l’auguste demeure.
Toutefois si tout cela permet de tisser un personnage dans un cadre fabuleux, dans un univers britannique que l’on n’attendait pas pour ce réalisateur américain, si le tout est tiré au cordeau, l’intrigue fini par sortie de son cadre pour s’approcher de celle de The Duke of Burgundy, colorée par une autre, celle de Lady Macbeth (The Young Lady). C’est qu’Alma va prendre peu à peu son autonomie et instaurer un autre type de relation avec son époux. Relation quasiment sadomasochiste, d’amour-haine (c’est là que nous songeons au film réalisé par Peter Strickland en 2014 qui envisageait une relation servante/maîtresse avec une inversion des rôles), mais aussi la construction d’une identité féminine au préjudice du pouvoir masculin (voir la jeune lady de William Oldroyd, en 2017). Dans cette dernière partie Phantom Thread où les champignons auront (presque) autant d’importance que dans The Beguiled (Les proies), les échanges entre mari et femme, tout en domination/soumission, en connaissance cachée de ce qui se cache et se trame feront découvrir au spectateur un déplacement magistral de l’intrigue qui tournera au thriller psychologique sans cependant s’y enfermer. Le réalisateur tisse ainsi une autre toile, celle qui prendra le couturier au piège d’une relation consentie de dépendance.
Paul Thomas Anderson sort bientôt son nouveau film, Phantom Thread, et les premiers retours sont très positifs.
Sûrement l'un des réalisateurs les plus cotés d'Hollywood à l'heure actuel, Paul Thomas Anderson était attendu au tournant. D'autant plus que le film sera sa deuxième collaboration avec le légendaire acteur Daniel Day-Lewis, après le très apprécié There Will Be Blood. Et les premières réactions presse sont unanimes : le film est une réussite.
Vogue
"Si mother! est un délirant portrait biblique de l'artiste comme un monstre à la nature divine (que j'ai aimé), ce nouveau film de Paul Thomas Anderson offre une autre version de la même idée plus gracieuse et beaucoup plus complexe... Feutré, mélancolique et profondément pervers (je n'en dirai pas plus), ce film fascinant nous rappelle qu'Anderson est le genre de réalisateur-alchimiste qui peut faire d'une personne commandant un petit déjeuner une scène classique"
Vulture
"Anderson ne peut pas s'empêcher de donner une humanité mortelle à ses personnages. Daniel Day-Lewis ne disparaît pas dans le couturier londonien Reynolds Woodcock, il le construit plutôt en partant de ses chaussaures impeccablement cirées. Mais la désarmante honnêteté de la serveuse Alma incarnée par Vicky Krieps est le vrai coeur du film... c'est presque indicible tant c'est touchant."
The New York Times
"Deux vies - et deux perversités - s'unissent dans ce film à la beauté ravageuse et assez surprenamment fun, qui retrace la relation entre un éminent couturier (Daniel Day-Lewis) et sa jeune et surprenante muse (Vicky Krieps). C'est une histoire sur l'amour et sur le travail, et finalement autant sur la romance qui se déroule à l'écran que sa propre création."
Vanity Fair
"Phantom Thread est à l'arrivée une espèce de comédie romantique perverse, un hommage tordu aux compromis et aux folies du couple, tout cela orchestré avec une retenue élégante par Paul Thomas Anderson et souligné avec légèreté par la musique éthérée de Johnny Greenwood."
Ça met l'eau à la bouche non ? Dernière petite friandise : l'ami Rian Johnson (Star Wars : Les Derniers Jedi, ça vous parle ?) a lui aussi vu le film, et est lui aussi est très laudatif : "Phantom Thread fait partie des oeuvres les plus rares et les plus brillantes de Paul. Il y a une vigueur délicate et engagée qui rappelle les histoires de David Lean, bien que l'oeuvre ait toujours son identité propre et bien affirmée. Les performances [des comédiens ndlr] sont des merveilles et le design visuel est exquis, mais la vraie magie du film vient de la manière dont le tout transcende la technique".
Impossible de parler de Phantom thread (littéralement « fil fantôme ») sans évoquer le travail remarquable du costumier Mark Bridges. Ses costumes étoffent admirablement le récit, ajoutent la réalité charnelle de la matière, l’évidence du détail au panache des acteurs, à la richesse de l’intrigue, à la classe de la mise en scène magistrale orchestrée par Paul Thomas Anderson.
Tant Daniel Day-Lewis en couturier génial et torturé que Lesley Manville dans le rôle de sa sœur implacable et dévouée et que Vicky Krieps dans celui de l’amoureuse éperdue et follement déterminée portent subtilement le scénario et font de ce film une œuvre singulière, de haute volée. Un film classique de prime abord, qui s’installe lentement, se déguste à petites gorgées, pour se révéler finalement plus vénéneux qu’il n’y parait.
Tout se passe en Angleterre, dans le Londres des fifties. Jeunes ou vieilles, laides ou belles, les femmes de la haute bourgeoisie, celles de la noblesse, celles qui en ont les moyens s’arrachent à prix d’or les robes composées sur mesure par le très convoité Reynolds Woodcock, créateur monomaniaque parvenu au firmament de son art. Dès potron-minet, les petites mains minutieuses de son atelier sont à pied d’œuvre, aux aguets, à l’affût des moindres volontés de leur patron intransigeant. C’est toute une mécanique bien huilée qui se remet en marche chaque matin. Une maisonnée qui ne respire que par cet homme insatiable, éternel insatisfait. Ici pas un fil ne dépasse, ni un poil de son nez, ni un cheveu de sa maîtresse du moment. Sa vie est brodée à l’instar de ses robes, ne laissant aucune place à l’imperfection. Même le temps semble dompté par des rituels quotidiens incontournables. Tout est maîtrise. Tout ne doit être qu’excellence.
Derrière le couturier se protège un homme dont la passion le nourrit autant qu’elle le consume. Dès qu’il revient dans l’intimité de son antre, cet être porté aux nues par le microcosme mondain se transforme en tyran aussi irascible que fragile, hanté par des démons invisibles, qui fait régulièrement le vide autour de lui, qui sème les amourettes déjà mortes avant même d’avoir pu exister. Seule sa sœur Cyril résiste stoïquement à tout, pardonnant tout, anticipant chacun des mots, chacune des attentes de son frère. Ils forment une sorte de couple fusionnel, à l’atelier comme à la ville, qui laisse bien peu d’espace à une autre, aussi remarquable, aussi forte, aussi amoureuse soit-elle. D’ailleurs l’histoire débute par une rupture aussi inélégante que lapidaire : l’éconduite partira sans un mot d’explication, Cyril faisant le sale boulot à la place de son frangin qu’elle envoie aussi sec se ressourcer à la campagne en attendant que la tempête soit passée. C’est là que Reynolds croise le regard d’Alma. Jeune serveuse maladroite, demoiselle un peu gauche mais d’une candeur radieuse qui détonne avec les manigances des dames engoncées de la capitale. Coup de foudre réciproque, complicité immédiate. Voilà la fille de peu propulsée dans un monde qui lui est inconnu, entre fines dentelles, pures soieries, soirées mondaines… Vite elle y prend goût tandis que Reynolds se remet d’arrache pied à son œuvre. Alma devient sa muse, sa plus belle source d’inspiration. Mais tandis que Reynolds l’habille et la couvre de compliments, l’éternelle Cyril guette les signes de la descente aux enfers, s’apprêtant à éjecter sans ménagement cette nouvelle intruse dont son frère se lassera vite, fatalement… Mais rien ne se passera exactement comme on s’y attendrait…
Subrepticement le récit se tend comme un arc prêt à décocher ses flèches impitoyables. On finit comme Cyril par essayer de tout comprendre à quart de mot. Tout se passe dans les regards, dans les silences, dans d’infimes détails criants. On se prend à aimer profondément ces personnages, à percevoir les fils ténus qui tissent progressivement une toile aussi somptueuse que dangereuse.
La vie de Reynolds Woodcock (Daniel Day-Lewis), couturier à succès dont l'activité occupe l'intégralité du temps et des pensées, est bouleversée lorsqu'il rencontre une jeune et élégante serveuse (Vicky Krieps), qui deviendra sa maîtresse et sa muse.
Après le très disjoncté Inherent Vice qui tentait de nous plonger dans l’univers de Thomas Pynchon, Paul Thomas Anderson part ici dans une tout autre direction: le Londres du milieu de la mode des années 50. Il s’acclimate d’ailleurs particulièrement bien à son décor, tout en fusionnant presque avec son personnage principal. L’un est couturier, l’autre est cinéaste, mais tous deux semblent fascinés par le travail bien fait et l’importance accordée au moindre détail. Comme son couturier de fiction, Paul Thomas Anderson pratique son art avec une précision presque obsessive: mise en scène millimétrée, direction photo et direction artistique irréprochables, scénario se déroulant avec une minutie implacable. Le tout fascine beaucoup mais agace aussi parfois en raison d’une utilisation de la musique moins subtile que le reste. Le film prend également le risque de devenir un film trop sage et peut-être un peu vain, jusqu’à ce que les personnages fassent voler en éclat les apparences et leurs fonctions respectives pour laisser apparaître leurs personnalités plus intimes. Leurs obsessions se font alors plus ambiguës, plus complexes, et les protagonistes finissent par semer le trouble dans la mécanique parfaitement huilée du film. L’air de rien, progressivement, ils se dévoilent et laissent ressortir du tréfonds d’eux-même des forces ou des failles qui font voler en éclat les fausses évidences. On peut regretter que Paul Thomas Anderson ne les suive pas et continue à imposer une telle maîtrise obsessive à sa forme qu’il fait parfois de l’ombre à ses personnages, et par ricochet, à son film lui-même. Cette radiographie d'un couple improbable n'en demeure pas moins de plus en plus fascinante.
Paul Thomas Anderson a toujours su entretenir ce petit quelque chose indescriptible propre aux grands réalisateurs qui, dans une modernité subtile, expriment ce mystère et cette ambiguïté inhérente aux œuvres les plus bouleversantes.
Il est d’ailleurs, au côté de James Gray, le porte étendard d’une modernité nouvelle qui sait dériver discrètement vers une forme d’abstraction narrative. Tous ses films (autant que ceux de Gray) semblent clairs et limpides dans leur exécution alors que, très vite, une zone d’ombre se révèle derrière la réalisation flamboyante qui irradie l’écran. La fresque Altmanienne Magnolia, l’assourdissant There Will Be Blood, le duel au centre de The Master ou encore le labyrinthe paranoïaque de Inherent Vice, possèdent tous une dimension très mystérieuse dissimulée derrière la densité, la richesse et le foisonnement des histoires qui y sont racontées. Les films de PTA font partie de ceux qui illustrent le plaisir de se perdre.
L’histoire de Phantom Thread paraît assez simple. Dans les années 50, un grand couturier très réputé de nom de Reynold Woodcock (Daniel Day-Lewis), secondé par sa fidèle sœur, Cyril (Lesley Manville), voit sa vie bouleversée à jamais après sa rencontre avec Alma (Vicky Krieps), une jeune femme dont il tombe petit à petit amoureux. Alors que leurs sentiments s’intenisife avec le temps, celle-ci ne se contente pas du rôle de simple muse et impose dans la maison Woodcock, quitte à secouer Reynold dans son obsession pour le travail. On s’en doute : passée la romance idyllique au début du film vient le temps d’une confrontation entre Alma et Reynold, que le caractère perfectionniste et maladif va envenimer.
À la romance mélodramatique se noue un duel psychologique où il sera question de savoir qui, du tyran ingrat et obsessionnel, mis en lumière par la haute société, ou de la têtue obstinée, dans l’ombre du« créateur » quasi-mythique, aura l’ascendant sur l’autre. Le point de vue du film glissant assez rapidement vers celui d’Alma dès sa rencontre par Reynold dans le restaurant d’un humble hôtel, peu de place au doute : Phantom Thread actera la chute d’un artiste racontée du point de vue de sa muse. Enfin il semblerait…
The Masters
En vérité, c’est tout le contraire dont il s’agit ici. Dans un style suranné fleurant bon les années 50 et les mélodrames en technicolor de Douglas Sirk et à travers une fresque amoureuse que l’on croirait venue tout droit d’un roman du XIXème siècle, Paul Thomas Anderson s’amuse à nous surprendre à chaque scène, au bout de chaque dialogue, là où la moindre seconde de silence remet tout en question. La subtilité, la précision et l’élégance de la réalisation ou de l’écriture joue ici un rôle fondamental : celui de déterminer la construction puis la chute de chaque séquence et de chaque micro-événement se déroulant dans l’univers calfeutré d’un couturier mutique. Littéralement obsédé, voire sociopathe, shooté par son travail et les œuvres qu’il confectionne de ses mains (ou avec l’aide de sa petite armée de couturières fidèles, reléguées dans l’ombre mais exécutant la majeure partie du travail), Reynold est un personnage d’une parfaite ambiguïté pour naviguer en eau troubles pendant plus de deux heures.
Tyrannique sans être injuste, égoïste sans être dénué d’empathie, la figure de pouvoir qu’il représente pour son entourage fait écho à celui du gourou de la scientologie dans The Master, le chef d’oeuvre de PTA sorti en 2012. Et cela n’échappera à personne : il y a, dans Phantom Thread, une ressemblance évidente entre le duel psychologique que se livrent les deux amants et celui livrés par Freddie Quell (Joaquin Phoenix) et Lancaster Dodd (Philipp Seymour Hoffman) dans The Master. Les deux films sont en cela jumeaux. Tous deux abordent la fascination et l’initiation à un nouveau monde (spirituel ou matériel), certes. Mais, tous deux étudient surtout la recherche d’une parentalité disparue ou oubliée (du père dans The Master, de la mère dans Phantom Thread). Car tandis que Reynold a l’âge d’être le père d’Alma, la maladie de ce dernier est surtout d’exiger inconsciemment des femmes qui l’entourent qu’elles remplacent sa mère disparue, en premier sa sœur, Cyril, indéboulonnable.
Syndrome de Münchhausen
Alma, de son côté, parfaite incarnation de la muse juvénile au visage de poupon, va se révéler, petit à petit, comme celle qui apportera un bouleversement inédit dans la vie de Reynold : le renversement du rapport de force dont celui-ci jouit sans scrupules depuis bien trop longtemps. Créateur à temps plein, Reynold se prend pour Dieu, se croit invincible, se prétendant « fort ». Si Alma semble déceler très vite une carapace renfermant en vérité un grand enfant abandonné, Reynold, lui, ne se rendra compte de sa vulnérabilité qu’au moment où il sera tout proche du gouffre, près de tomber à jamais. Gémissant de douleur dans son lit, parlant au fantôme de sa mère défunte dans la scène la plus intense du film, cette épiphanie est le point d’orgue de Phantom Thread et, accessoirement, d’une beauté à couper le souffle. Par la suite, une étrange relation entre Reynold et Alma se met en place : celui d’un syndrome de Münchhausen par procuration franchement tordu qui permet, avec brio, de magnifier un mélodrame au départ assez convenu.
Dense, riche et opaque, comme on en a l’habitude chez PTA, Phantom Thread bénéficie par ailleurs d’un cachet old-school et d’une élégance rare qui lui sied à merveille et qui, au passage, permet de mettre en lumière le départ de Daniel Day-Lewis. Officiant comme un miroir à son charisme naturel, la réalisation classieuse de PTA se voit illuminée par des couleurs et une lumière intemporelle que la musique au piano, surgissant comme un écho amoureux tout au long du film, vient dilater, diluer dans le récit abondant narré par une voix-off intermittente.
On assiste ici à la « Grand Forme » hollywoodienne la plus aboutie chez PTA mais, de surcroît, à celle la moins surprenante. Car si le film est magnifique à chaque instant, on ne peut pas s’empêcher d’essayer d’y trouver l'hébétement qui faisait de ses deux derniers films, Inherent Vice et The Master, des films à la puissance entêtante (et dont la mécanique parfaite en apparence était en permanence secouée par quelques brins de folies ici et là). Dans Phantom Thread, celle-ci ne vient que timidement lors des silences qui frappent les personnages de plein fouet au cour des repas, des séparations ou des réconciliations d’Alma et de Reynold. Quoiqu'il en soit, cela suffit pour insuffler au spectateur une fascination envers un film qui, lentement et discrètement, marquera le coeur et les esprits de ceux qui le verront, jusqu'à devenir obsédant.
La poésie de l’amour au sens large. Que ce soit pour le travail du tissus, l’exigence de soi et des autres, la vie en communauté et l’éventuelle possibilité d’une relation intime. Le monde de la mode qui amplifie un aspect onirique et exigeant.
L’handicape dans les relations sociales par faute d’être un créateur, serait-ce Paul Thomas Anderson mis en scène dans un autre contexte ? Le travail d’un réalisateur qui est aussi exigeant que celui d’un créateur ?
Plongé dans un lyrisme poétique par l’image, la musique, les performances des acteurs, il s’agit là d’une œuvre d’art.
Tout ce que la puissance d’une mise en scène peut permettre est réunie dans un seul film.
Ce que l’amour peut provoquer dans une vie se définirait par une sorte de confrontation afin que chacun des personnages trouve sa place. La sensualité se retrouve dans les mensurations, le tissus, matière première pour créer une robe. Aucune vulgarité, tout n’est que justesse et précision ce qui donne au film beaucoup de charme. Basée sur l’aveuglement de l’amour, inspirée de Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock (1954), Paul Thomas Anderson nous livre une version personnelle du vécue d’un artiste/auteur, quant à la possibilité d’avoir une vie intime en plus d’un travail qui est sa raison d’être. Tel un conte réaliste, inspiré d’ancien conte populaire allemand comme Le Vaillant Petit Tailleur des Frères Grimm, retranscrit dans l’Angleterre des année 50.
Il s’agit d’un ensemble de choix artistiques (mise en scène), visuelles (photographie, lumière) ainsi que de performances de la part des acteurs qui permettent un rendue aussi sublime, dans une époque révolue de la haute société. Il y a la question du mérite de porter du Woodcock, preuve de respect pour une création vis à vis d’un artiste.
La musique de Jonny Greenwood peut être considéré comme un personnage à part entière qui accompagne tous le récit du film avec grande finesse.
L’audace d’un créateur et le sacrifice pour son art est une des thématiques importantes du film.
Une fois de plus Paul Thomas Anderson arrive, notamment grâce à l’interprétation des acteurs (Daniel Day-Lewis, Vicky Krieps, Lesley Manville) et son incroyable mise en scène à nous plonger dans un monde où réside malfaisance de ses personnages, mais on y trouve malgré tout une certaine empathie.
Il s’agit là de grande maitrise de la part du réalisateur, qui nous permet de visualiser un grand film.
[Critique] Phantom Thread : aimer à perdre la raison
Posted By: Simon Robert 0 Comment 14 février 2018, daniel day lewis, Daniel Day Lewis et Paul Thomas Anderson, fashion, février 2018, films 2018, films st valentin, Golden Globes, Love, Mode, Note: 4/5, Oscars 2018, paul thomas anderson, Phantom Thread, Phantom Thread analyse, Phantom Thread avis, Phantom Thread critique, Phantom Thread explication, st valentin 2018, there will be blood, Vicky Krieps, Vicky Krieps 2018
Trois ans après Inherent Vice, passé inaperçu, le cinéaste Paul Thomas Anderson revient à ses démons premiers avec Phantom Thread, un film sur la passion, l’amour et la folie. La dernière fois qu’Anderson et l’acteur Daniel Day-Lewis avaient collaboré, c’était en 2007 pour le chef d’oeuvre There Will Be Blood. Forcément, l’attente était grande.
Phantom Thread suit la vie de Reynold Woodcock (Daniel Day-Lewis), styliste réputé dans l’Angleterre du début du siècle dernier. Personnage atypique, célibataire endurci et homme vieillissant aux habitudes bien ancrées, il rencontre Alma (Vicky Krieps) une jeune femme d’apparence maladroite et en décalage avec l’univers de Woodcock qui bouleverse sa vie.
Leçon de cinéma
Voir un film de Paul Thomas Anderson, c’est laisser à l’entrée de la salle de cinéma nos habitudes de consommation de films, de rythme, de récit. Si Phantom Thread est l’un des films les plus courts de sa filmographie, il n’en reste pas moins bien marqué par ses gimmicks de mise en scène. Comme si nous étions dans une dimension parallèle, le temps s’écoule à son propre rythme. Tantôt très lent, tantôt trop rapide, Phantom Thread suit sa propre temporalité. On s’ennuie parfois, mais on en redemande toujours.
Pour plonger le spectateur dans cet état-là, Anderson joue sur la composition des cadres, sur les mouvements de caméra, sur la lumière. Pour la première fois, il a à la fois la casquette de scénariste/réalisateur et celle – même s’il ne se crédite pas comme tel au générique – de chef opérateur. C’est à dire qu’en plus de diriger ses acteurs sur le plateau, Anderson crée le cadre à la caméra et gère l’éclairage de la scène, un travail assez exceptionnel, et assez rare dans l’industrie. Qu’il s’agisse d’une nature morte ou d’un visage, d’un personnage seul dans le cadre ou d’une foule, il filme avec grâce chaque plan. La photographie est très lumineuse, avec des dominantes blanches/grises et des cadres aussi précis en gros plan qu’en plan large, le tout filmé en 35mm, apportant une douceur à l’image.
La force du film tient bien évidemment aussi sur les performances de ces acteurs. Daniel Day-Lewis irradie l’écran de par sa justesse, et l’on regrette déjà qu’il ait décidé de prendre sa retraite après la sortie du film. Mais les actrices ne sont pas en reste dans ce film qui dresse des portraits de femmes fortes, et si Lesley Manville (Cyril, la sœur de Reynold) est cinglante et touchante, Vicky Krieps est une révélation. Dans le regard comme dans l’intonation de la voix, dans la manière de se mouvoir comme dans les traits fins de son visage, il en dégage une poésie inexplicable. La mise en scène est aussi sublimée par les somptueux costumes. Dans un film sur la haute-couture, mieux vaut en avoir des bons. Ils viennent magnifier chaque personnage, même les plus laids, qui semblent alors comme porter un masque.
L’amour jusqu’à la folie
Mais Phantom Thread est aussi une grande et passionnée histoire d’amour. Entre l’Homme et l’Art. Entre Woodcock et Alma. Entre les différentes classes sociales. Et puis, à un moment, tout dérape. À trop aimer, on tombe dans la folie. Dans son dernier acte, ce qui n’était qu’une ombre planante tant sur le film que sur la filmographie de Paul Thomas Anderson devient concret : le fond et la forme s’accordent pour raconter une histoire de névrose, les personnages sont en fait des véritables psychopathes. Ils sont conscients de leur propre démence, et en redemandent. Une apothéose qui rappelle le cinéma de Stanley Kubrick, et pendant laquelle Paul Thomas Anderson va même jusqu’à sortir les violons et les percussions pour rappeler la Sarabande d’Haendel utilisé dans Barry Lyndon.
En cela, Phantom Thread répond aussi à There Will Be Blood. Dans ce dernier, on suivait déjà Daniel Day-Lewis dans une relation conflictuelle (avec son fils) qui sombrait dans la folie pure et dure. Phantom Thread va même plus loin avec l’idée que Reynold Woodcock a besoin d’être faible pour créer et qu’Alma a besoin qu’il soit faible pour s’occuper de lui et pour qu’il la regarde telle qu’elle est. Comme un serpent qui se mord la queue. Le film se termine alors sur une sensation de folie, tant chez les personnages que chez les spectateurs. Mais si la folie est synonyme de déséquilibre, le film lui vient nous montrer que parfois, un déséquilibre peut être la matrice d’une vie, qu’il est nécessaire. Tant est si bien qu’on regrette que cet aspect de la psychologie des personnages n’intervienne pas beaucoup plus tôt dans le récit.
Il est toujours passionnant de voir des œuvres se répondre entre elles. Pendant la première moitié, Phantom Thread évoque Mother! de Darren Aronofsky. Dans l’un comme dans l’autre, un artiste masculin crée, au grand damne de sa bien-aimée féminine qui cherche à lui faire comprendre l’amour qu’elle entretient pour lui. L’aspect cyclique de Mother! – et son message comme quoi tout est voué à l’échec car tout n’est qu’un éternel recommencement – est cependant la différence majeure avec Phantom Thread. Car dans ce dernier, le personnage d’Alma a une place bien plus importante, et le pouvoir de changer à la fois les choses et Woodcock. En dans son apogée finale, le film tient un propos beaucoup plus cinglant sur l’Art et l’amour, voué à nous dévorer jusqu’à la moelle.
Conclusion : Phantom Thread est le retour gagnant du duo Paul Thomas Anderson/Daniel Day-Lewis. Un film sur l’amour, la folie, et la folie de l’amour. Un casting monumental pour un film éprouvant, dur mais indispensable. Grandiose.
Tenue correcte exigée
Daniel Day-Lewis fait preuve d’un charisme irrésistible, magnifié par une mise en scène très stylisée signée par Paul Thomas Anderson. Comme souvent, le réalisateur a de plus su faire de ces apparats académiques le support à un récit bien plus transgressif.
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L'argument : Dans le monde de la mode du Londres des années 1950, le couturier Reynolds Woodcock, proche de sa sœur Cyril, est engagé pour dessiner les vêtements des gens de la haute société, tels que les stars de cinéma, les héritières ou les mondains, et de la famille royale. Un jour, il rencontre Alma, une jeune femme qui devient sa maîtresse et surtout sa muse.
Notre avis :Avant d’être une rupture, Phantom Thread est surtout marqué par des retrouvailles. Celles de Paul Thomas Anderson et de Daniel Day-Lewis, dix ans après There Will Be Blood. Après deux collaborations florissantes avec Joaquin Phoenix, le réalisateur retrouve l’acteur multi-oscarisé pour lui offrir l’occasion de jouer quelque chose qu’il n’a plus incarné depuis plus d’un quart de siècle : un Anglais. Le comédien originaire de Londres, habitué aux rôles d’américains ou, au mieux, d’Irlandais (dont il est également originaire via ses parents), pourrait même y trouver là son dernier rôle puisqu’il a récemment annoncé prendre sa retraite. Le rôle de ce couturier monomaniaque et obsédé par les codes de la haute bourgeoisie pourrait ainsi représenter son chant du cygne, tant il lui apporte, sans jamais amollir la rigidité qui le caractérise, une ambiguïté ahurissante qui s’avère être le véritable moteur de ce long-métrage.
Cette thématique de la noblesse britannique est cependant une véritable rupture dans la filmographie de Paul Thomas Anderson qui s’est jusque-là concentré sur les dérives du rêve américain, sous toutes ses formes. Le voir ainsi traverser l’Atlantique pour dépeindre la haute-société londonienne n’est pourtant pas une parfaite dénégation de l’approche qu’il a toujours su donner aux Etats-Unis et à leurs idéologies autodestructrices. La peinture qu’il donne de ce microcosme, par le prisme d’une entreprise familiale de couture, est ici aussi alimentée par le poids des faux-semblants, et des névroses qu’ils dissimulent. C’est en l’occurrence l’élégance traditionnelle du personnage de Day-Lewis qui devient le pilier du film, à point tel que c’est à elle que la mise en scène va s’accorder.
Tout le travail formel de PTA repose donc sur cette volonté de s’approprier les codes du classicisme à l’anglaise. Au-delà de la direction artistique, qui reconstitue avec minutie cette Angleterre fortunée des années 50, les choix de cadrage et les effets de lumières font de ce long-métrage une véritable œuvre picturale, en hommage à un cinéma romanesque so british devenu trop rare. De cette imagerie, au premier abord surannée et clichée (telle qu’on avait pu la voir dans My Cousin Rachel six mois plus tôt), il parvient à faire un spectacle fascinant et un élément indissociable de sa dramaturgie. Il la transforme en effet en un voile qui enrobe un récit bien plus profond et vénéneux que la simple bluette qui naît, en tout innocence, dans les premières minutes du film. Celle-ci n’est en fait que le prétexte à l’exploration de l’intimité de ce couturier qui semble irréprochable, pour découvrir un individu si trouble que, face à lui, sa maîtresse, qui paraissait à l’inverse un peu mièvre, devient le personnage auquel le spectateur va automatiquement s’identifier.
Dans sa capacité à faire face à Daniel Day-Lewis, tout en réussissant à apporter autant de profondeur et de crédibilité à son personnage que lui, Vicky Krieps s’avère être une véritable révélation. Malgré sa carrière internationale (on avait jusque-là pu l’apercevoir dans des films allemands, français comme britanniques), cette trentenaire luxembourgeoise n’avait pas encore su trouver de rôle qui sache, comme celui d’Alma, exploiter ainsi tout son talent. Le couple qu’elle forme avec Reynolds Woodcock est en effet le nœud scénaristique qui transforme ce qui ressemble magnifiquement à un postulat romantique des plus classiques en thriller psychologique bien plus retors qu’il n’y paraît.
Bien qu’il prenne du temps à se mettre en place, du fait d’une construction qui lui privilégie dans un premier temps un développement passionnel plus convenu, le jeu de manipulation qui se révèle dans le dernier tiers du film est d’une parfaite cohérence avec l’image que Paul Thomas Anderson a l’habitude de donner aux interactions humaines.
Le rythme assez contemplatif qui permet au réalisateur de prendre le temps d’observer l’insidieuse influence de Woodcock sur sa muse lui sert également à donner de l’importance à son métier de couturier, qui semble le fasciner tout autant que le cinéma britannique auquel il se réfère tout du long. La grâce avec laquelle il met en scène son travail, en particulier lorsqu’il a sa bien-aimée en guise de mannequin, relève d’une telle sensualité qu’elle en vient à compenser la pudeur de leurs relations. Si Phantom Thread dépasse son statut d’exercice de style , c’est donc bien dans sa capacité d’aligner le fond comme la forme à cette dichotomie entre la froideur engoncée de la noblesse anglaise et la violence psychologique qu’elle camoufle.
Celle-ci atteint d’ailleurs son paroxysme dans l’une des dernières scènes -qui aurait, soit dit en passant, mérité d’être la dernière, tant ce qui la suit paraît accessoire-, un tête-à-tête entre les deux amants. L’intensité du jeu de regards que s’y échangent leurs interprètes nous rappelle au passage que, au-delà de sa réalisation soignée, Paul Thomas Anderson garde la direction d’acteur comme sa priorité. Une valeur sûre qui, au-delà de son classicisme assumé, fait de Phantom Thread un film remarquable !
Phantom Thread, une romance aux sombres effluves
Si Daniel Day-Lewis tient parole, nous voilà orphelin de l’un des plus grands acteurs qu’il existe. Après avoir terminé le tournage de Phantom Thread, le britannique s’est empressé, par le biais d’un communiqué, d’annoncer que sa carrière d’acteur est désormais derrière lui. Un dernier rôle qui l’a plongé dans une profonde mélancolie et impossible à s’en décoller. Et pour couper court à tout suspens, DDL sort par la grande, très grande porte.
Avec son acolyte, le très talentueux Paul Thomas Anderson, Day-Lewis retrouve un cinéaste qui l’a dirigé dans le chef-d’oeuvre datant de 2008 : There Will Be Blood. Thomas Anderson, l’un de ces réalisateurs qui fascine, peu connu du grand public, voire même snobé serait-on tenté de dire. Et Phantom Thread ne déroge pas à la règle.
L’obsession du contrôle
Dès l’entame, on entend ces mots d’Alma (Vicky Krieps) qui interpellent : « Les fibres de mon corps », comme si les plis de la peau ne font qu’un avec les coutures d’une robe. Une robe car Reynolds Woodcock (Daniel Day-Lewis) en est le créateur, fondateur d’une célèbre maison de couture dans les années 50 à Londres. Famille royale, célébrités ou héritières se pressent pour porter les créations de l’artiste. La Maison Woodcock voit un ballet de couturières peupler la bâtisse de plusieurs étages où règne le célèbre styliste, mais aussi sa chère soeur, Cyril (Lesley Manville). Tout y est orchestré de façon à ce que rien ne vienne distraire le créateur, pas même le bruit d’une cuillère se heurtant les bords d’une tasse.
Célibataire endurci, allergique à l’idée de se marier de peur de devenir fourbe, Reynolds tombe sous le charme d’Alma, serveuse dans un petit restaurant. Elle devient sa muse. Parfaite pour lui, imparfaite pour elle-même, Alma ne s’aime pas, mais à travers le regard du styliste aux cheveux gominés, elle devient une gravure de mode, une beauté digne des déesses grecques. Cette vision fascinée en fera un couple étrange, avec ses hauts et ses bas. L’obsession du contrôle de Reynolds fera vaciller la jeune femme, perdue entre un profond amour et une peur de se consumer à petit feu sous les caprices du styliste et la relation étrange qu’il entretient avec Cyril, cette soeur qui veille au grain, qui rôde et habille la maison de son air sévère.
Un film « haute couture »
Phantom Thread étrenne sa superbe plastique comme le font les mannequins sur un podium. La fantaisie du milieu de la mode se cache et s’exprime à travers Reynolds. Son maniérisme, son face obsessionnelle, sa minutie ne font qu’amplifier ce sentiment étrange de malaise latent. Paul Thomas Anderson réussit à suivre les contours des plis d’une robe qui renferme des secrets. La robe qui habille Alma, une muse qui défie psychologiquement son maître. La créature défie le créateur. Tout est question d’équilibre, de mécanique où rien ne doit se dysfonctionner.
Les notes subtiles de Jonny Greenwood contribuent à nous plonger encore plus dans une atmosphère figée. Un film qui, sous le papier glacé rutilant, cache la fibre dont parle Alma au début. L’habit ne fait pas le moine, surtout quand Thomas Anderson croise Hitchcock au coin d’une rue sombre de Londres, avant de gravir les escaliers escarpés de la maison Woodcock. Deux noms qui se rejoignent. Coïncidence ?
Un « jeu », une inversion des rôles. Phantom Thread révèle une histoire imprévisible. Une petite merveille de métrage qui voit Daniel Day-Lewis délivrer une performance brillante, comme à son habitude. Tout est réuni : casting et mise en scène pour un film de premier ordre. Soyez-en sûrs, derrière le ricanement fallacieux de Reynolds, le récit est d’une telle finesse qu’il va assurément vous prendre à contre-pied. La maestria des maestros Thomas Anderson et Day-Lewis vous scotche.
Casting : Daniel Day-Lewis, Vicky Krieps, Lesley Manville, Camilla Rutherford, Brian Gleeson
Fiche technique : Réalisé par : Paul Thomas Anderson / Date de sortie : 14 février 2018 / Durée : 130 min / Musique : Jonny Greenwood / Distributeur suisse : Universal Pictures
LE CHARME DISCRET DE L’ABANDON
_ Élie Castiel
Brillant, une surprise étonnante, d’un goût machiavélique aussi intense que suggéré, car dans Phantom Thread, les cris sont chuchotés, les larmes intériorisées et vite traduites par un sentiment de survie qui rappelle le grand Hitchcok, celui de Rebecca, où l’univers clos bien régimenté se transforme en « siège » de tergiversations avortées et de complots exécutés.
Et derrière ce portrait narratif sans concessions, un film d’une élégance étincelante et viscontienne, d’un autre monde. Comme si pris par l’étrange pouvoir du décor, les personnages se trouvaient prisonniers d’une complicité non partagée, en quelque sorte à l’abandon, laissés à eux-mêmes.
Car Phantom Thread, ce « fil caché », c’est justement cet enchaînement d’évènements qui se succèdent sans crier gare, donnant à Paul Thomas Anderson la possibilité de proposer un des films les plus intuitifs de l’année. La nature humaine est complexe, multiforme, remplie d’aspérités, le cinéma d’autant plus, avec ses codes, les anciens et les nouveaux, ceux à venir; l’auteur du superbe There Will Be Blood (2007), conscient de cet état des lieux, confirme ici une maturité exceptionnelle, comptant aveuglément sur la présence d’un Daniel Day Lewis possédé par les démons du vice et de la vertu et qui livre ici une interprétation diaboliquement remarquable. Nous souhaitons qu’il ne s’agisse pas, comme il l’a laissé entendre, de son dernier film.
La luxembourgeoise Vicky Krieps (Le jeune Karl Marx) illumine l’écran par son mélange d’innocence innée et de perversité acquise, face à la brillante Lesley Manville, mêlant avec dextérité, jalousie, inceste latent, à peine suggéré, et une attention portée au traits du visage, pièce maîtresse pour le rôle qu’elle défend.
Derrière ce portrait narratif sans concessions, un film d’une élégance étincellante, d’un autre monde. Comme si pris par l’étrange pouvoir du décor, les personnages se trouvaient prisonniers d’une complicité non partagée, en quelque sorte à l’abandon, laissés à eux-mêmes.
Et pour les spectateurs, l’occasion rare de voir un film d’auteur accessible, porté par la grâce et la classe, évoquant les années 40 et une partie des 50, alors qu’aller au cinéma était souvent perçu comme un acte de contrition, pour nous rendre meilleur et apaiser, du mieux, l’âme
On compte aussi sur la musique de Jonny Greenwood, étincelant ce film proche de l’opéra, aux accents de tragédie, transcendant la réalité pour la rendre encore plus vulnérable. Les maîtres du classique comme Fauré et autres grands noms participent au montage musical, partie intégrante du film où tous les ingrédients collaborent étroitement pour assurer sa grandeur et sa lumineuse sublimité.
Du haut de ses 47 ans et de la façon dont en parle une communauté de cinéphiles aguerris dont nous faisons partie, Paul Thomas Anderson semble être un cinéaste parmi les plus grands. Une image, une renommée prouvant qu’il ne faut pas avoir à son palmarès une filmographie comptant trente à soixante films pour être reconnue à sa juste valeur. Paul Thomas Anderson c’est en 2018, quatre courts métrages, 8 huit longs métrages, et ce, en l’espace de trente ans. Ce n’est rien comparé aux monstres qui lui font face, mais c’est tout autant qu’un Quentin Tarantino et comparé à ce dernier, aussi cinéphile et talentueux soit-il, Paul Thomas Anderson représente une communauté de puristes bien plus assidus. Le patronyme de ce n’est pas reconnu tel un Tarantino, que tout à chacun connaît grâce à des films ou des discussions abordant le cinéma, mais son savoir-faire l’est par les connaisseurs, et ce n’est pas à omettre ou reléguer au second plan. Paul Thomas Anderson est sur une autre planète, et que l’on aime ou non son cinéma, il est respecté par ses tiers qui reconnaissent son savoir-faire absolument prodigieux. Parce que le cinéma et la critique plus particulièrement, est affaire de subjectivité, je n’aime pas tous les films que compte la filmographie du cinéaste américain et notamment son Inherent Vice. Trop long, boursouflé et confus sur certains points, mais il n’en demeure pas un film jubilatoire à voir ou analyser. Une oeuvre audiovisuelle d’une maîtrise et d’une cohérence parfaite sur chacun des points qui la comporte. Et il en va de même pour chacun des films signés: Paul Thomas Anderson. Le sujet, l’époque et les personnages ne m’étaient pas suffisamment proche dans leurs tourments que des Freddie Quell (The Master, 2012), Dirk Diggler (Boogie Nights, 1997)ou encore Frank T.J. Mackey(Magnolia, 1999). Phantom Thread ne déroge pas à la règle est demeure un pur « A Film by Paul Thomas Anderson », même s’il ose de nouvelles choses, permettant au cinéaste de ne pas se reposer sur ses acquis.
La fin d’une ère pour un nouveau commencement. Annoncé comme le dernier film dans lequel jouerait l’acteur oscarisé à trois reprises (1990 pour My Left Foot, 2008 pour There Will Be Blood et 2013 pour Lincoln) Daniel Day Lewis, il ne serait aucunement surprenant que ce soit véritablement le cas. Phantom Thread est une oeuvre élégante et qui paraît légère et douce grâce à une colorimétrie assez terne qui mise essentiellement sur des couleurs qui n’agressent pas la rétine. Du blanc, du blanc cassé, le gris et le kaki sont les couleurs qui viennent en tête lorsque l’on songe au film alors que fondamentalement, chaque plan dispose avec parcimonie quelques touches de couleurs allant du bleu au rose et en passant par le violet. Mais elles ne sont pas mises en lumière afin quelles paraissent vivent, mais ne sont que des petites touches à l’image d’un raccord qui serait effectués sur une robe. Le ratio utilisé (1.85) n’écrase pas l’image par des bandes noires horizontales et les focales utilisées, majoritairement courtes, n’écrasent pas perspectives, adoucissant une fois de plus le film sur son aspect visuel. Un travail visuel somptueux et en adéquation avec l’éclairage et la gestion des sources de lumière, jamais dirigées vers l’image et donc vers le spectateur. Des lumières intradiégétiques tamisées, d’un orange naturel qui vient donner du cachet à l’image et apporter la chaleur amoureuse et brutale que ne peut amener le protagoniste. Une imagerie en corrélation avec le monde qui sert de background au film, celui de la haute couture, mais en opposition avec la personnalité de celui autour duquel tourne l’histoire: Reynolds Woodcock incarné par Daniel Day-Lewis.
Couturier de renom comme le stipule le synopsis, Reynolds Woodcock est quelqu’un d’élégant, de raffiné, mais qui est également maniaque et imbu de sa personne. Il aime la solitude, avoir son havre de paix pour travailler et qu’on ne le dérange sous aucun prétexte, sans pour autant être oublié ou mis de côté, bien au contraire. Reynolds Woodcock est un homme complexe, un homme qui a du caractère, une forte personnalité, mais également fantomatique lorsqu’il le désire. Grâce à une direction d’acteur précise et surtout à un acteur, Daniel Day-Lewis, qui joue majoritairement sur l’intériorisation des sentiments et un panel extrêmement réduit d’expressions, tant faciales que corporelles, Reynolds Woodcock dépasse rapidement le stade de simple personnage de film. Il prend littéralement vie sous les yeux du spectateur, sans que ce dernier ne sache véritablement s’il aime ou le déteste, grâce à des nuances et cette ambivalence entre un égocentrisme détestable et la démonstration d’avoir envie d’essayer d’aimer et rendre heureuse celle avec laquelle il partage sa vie. Une caractérisation qui dépeint sur l’atmosphère que dégage le film dans sa généralité, car appuyée par une bande originale omniprésente, aussi étouffante et grinçante que douce et attendrissante. Une bande originale signée Jonny Greenwood d’une beauté folle, qui retranscrit avec perfection les nuances du protagoniste, et donc sa partie détestable, faisant donc du film une œuvre aussi détestable que magnifique. Démonstration qui fonctionne également en prenant en considération le personnage principal féminin incarnée par Vicky Krieps, qui n’est autre que son homologue féminin. Puisque oui, Phantom Thread est une romance. Un film d’amour dur, brutal, mais sincère et d’une beauté admirable grâce à l’attachement des personnages principaux l’un à l’autre, et à leur démonstration d’un besoin existentiel d’être liés.
Phantom Thread est une oeuvre Andersonienne sous toutes les coutures même si elle recèle dans sa doublure quelques secrets. Une oeuvre qui prend son temps, au scénario qui s’applique à faire vivre ses personnages secondaires qui ont du caractère, des choses à raconter et un véritable background (personnages secondaires féminins brillamment interprétés par Vicky Krieps et Lesley Manville), et qui cinématographiquement, frôle la perfection. De longs tracking shots, la caméra se meut dans les décors suivant les actions et directions prises par les personnages. Très renfermé, à l’image de sont protagoniste, les plans sont moins longs et exubérants, mais toujours subtils, élégants et justifiés par l’action, les rendant invisibles si le spectateur ni porte pas attention et se laisse bercé par la mélodie des images. Cependant, Phantom Thread demeure le film le plus calme à ce niveau avec beaucoup de plans fixes et de “simples” champs/contrechamps. En rien un mal, ces derniers étant justifiés et utiles à l’avancée du récit et au développement des personnages. Phantom Thread est un film de maniaque, un film de cinéphile et de puristes, que certains détesteront, mais que d’autres adoreront pour les exacts mêmes points. Une oeuvre cinématographique dont on sort ne sachant quoi penser sur le coup, à l’image de la perception que l’on se fait du protagoniste, mais qui a force de maturité dans notre esprit ne fait que grandir et prendre en estime. Paul Thomas Anderson est indéniablement un grand, qui réalise des films majestueux qui ne plaisent pas toujours sur le coup, qui font ressentir des émotions éparses, mais qui restent dans les mémoires. Et ce Phantom Thread semble bien parti pour devenir un futur très grand dans la nôtre de mémoire.
phantom thread n'est pas (seulement) un film sur un couturier obsessionnel
On a parlé de Phantom Thread comme du conte d'une masculinité toxique, quand on pourrait y voir une étude des relations amoureuses où les femmes ont le pouvoir.
Londres, 1955, Daniel Day-Lewis est Reynolds Woodcock, habilleur des grandes dames, de la famille royale et des étoiles du cinéma. Frustré par son travail, il se met au vert, s'installe à la campagne où il rencontre Alma (Vicky Krieps), une immigrée d’Europe de l’Est qui entre dans sa vie avec force, et vient vivre avec lui dans sa maison et son atelier, la House of Woodcock. Là-bas, elle est obligée de partager Woodcock avec sa grande sœur Cyril, la matrone du foyer, magnifiquement interprétée par Lesley Manville.
Commençons par le commencement : Phantom Thread est un super film. Plein de suspense, d’humour et incroyablement bien joué. La réalisation du prodige Paul Thomas Anderson, comme d’habitude, a quelque chose d’infiniment maîtrisée et quelque chose d’ancien, dans le bon sens du terme, en ce qu’elle dessine une romance ambitieuse, gothique, qui se joue en grande partie aux confins de la sérénité toute Hitchcockienne du foyer.
Jusque-là, l’attention des critiques et commentateurs a été retenue presque exclusivement par la prestation de Daniel Day-Lewis. L’acteur britannique a d’ores et déjà annoncé que ce film serait le dernier de sa carrière, ou la fin d’une carrière incomparable couronnée de trois Oscars du Meilleur Acteur (un record) : pour son rôle de Christy Brown dans My Left Foot en 1989, pourThere Will Be Blood en 2007 et Lincoln en 2012 (il est encore nommé dans cette catégorie cette année.)
Pour Phantom Thread, Day-Lewis joue Woodcock avec la même intensité palpable qui infuse dans toutes ses interprétations. Il y est un designer arrogant, dangereux, impitoyable et obsédé par la perfection (« Tu n’as pas de seins, » remarque-t-il froidement à l’adresse d’Alma, pendant une séance d’essayage improvisée lors de leur premier rendez-vous). Mais il est aussi follement charismatique, romantique et espiègle.
Les deux personnages se rencontrent pour la première fois dans un café, où Alma est serveuse, douce, mais timide, presque anxieuse et socialement inadaptée, en comparaison avec l’assurance et l’allure à la Brummell de Woodcock. Quand il lui propose de l’extirper de sa vie modeste et qu’il l’invite à vivre avec lui à Londres, la dynamique de l’histoire apparaît déjà très clairement : Alma va se fondre dans le rôle de maîtresse et de muse, n’existant que par obligation et soumission à son partenaire plus puissant.
Et c’est justement là que Phantom Thread devient intéressant. Même si les discussions autour du film se sont concentrées sur l’idée du génie torturé masculin (même l’affiche du film présente largement le visage de Day-Lewis et une Krieps plus petite, positionné dans ses contours), c’est bien le personnage d’Alma qui donne au film toute sa saveur et sa magnifique intensité mélodramatique.
Plus une étude du jeu de pouvoir dans une relation amoureuse qu’une romance basique, il apparaît petit à petit clairement que là où l’on attendait de voir se déployer dans Phantom Thread la figure de l’artiste homme abusant et réprimandant son vis-à-vis féminin (ce que fait le protagoniste pendant une bonne partie du film), Anderson dresse le portrait d’une Alma qui sait se défendre, tenir position et rétorquer. « Je veux qu’on fasse une bataille de regard tous les deux, propose-t-elle à Woodcock, au début de leur relation. Tu vas perdre. »
Et même quand Woodcock commence à douter de son affection pour Alma – quand il l’infantilise ou qu’il la mesure aux souvenirs de sa mère défunte – Alma gagne en stature dans le cœur et les yeux de Cyril, la froide gardienne des lieux, initialement chargée de débarrasser les muses fatiguées et inutiles de la maison familiale.
Et juste quand on commence à ranger les deux femmes dans un schéma classique de compétition, elles commencent à trouver un intérêt commun. Un accord qui, avec les couturières qui permettent à l’atelier de tenir la route, induit une forme d’unité respectueuse entre toutes les femmes du film. À la fin, on comprend bien que, malgré toute la complexité de leur relation, Phantom Thread est l’histoire d’Alma, pas celle de Woodcock.
Plates coutures
Les couturiers au cinéma sont-ils maudits ?
Le XXe siècle fut leur terrain de jeu. Un terrain comparable et parallèle en matière de célébrité, à celui du cinéma où, tenus à distance pour cause de frivolité, les couturiers ne firent que passer. Cantonné à la création des costumes – Christian Dior a débuté ainsi –, le couturier, même fictionnel, n'eut jamais le beau rôle. Ou alors bien tordu du neurone comme dans Falbalas (Jacques Becker, 1944), film culte dont Jean-Paul Gaultier ne cesse de dire, depuis ses débuts, qu'il lui donna envie de faire de la mode. C'est donc un couturier fictionnel tordu du neurone que le réalisateur Paul-Thomas Anderson a mis en scène dans Phantom Thread, attendu sur nos écrans pour ce 14 février, accessoirement jour de la Saint-Valentin, la fête la plus con du monde. Aucune cause à effet, si ce n'est que Phantom Thread est un mélo d'amour ambigu, vénéneux et fatal lorgnant vers Falbalas, encore !, quand bien même son auteur dit s'être inspiré de Balenciaga. Mais alors de loin, vu d'avion et par temps de brouillard.
En outre, Phantom Thread est annoncé comme l'ultime film tourné par Daniel Day-Lewis. Ce qui ajoute à l'aura de drama queen de l'œuvre et évoque furieusement une fashion attitude bien connue : je quitte la mode pour toujours jusqu'à demain. Enfin, Phantom Thread réhabilite le couturier en tant que mâle hétéro, statut restant ici bien ambigu, et dénie par le fait que Reynolds Woodcock – c'est son nom dans le film –, puisse être un mix-match crypto-perfide des couturiers Norman Hartnell et Hardy Amies, les deux grandes figures de la mode anglaise de l'après-guerre, puisqu'ils étaient gays tous les deux. « He was a silly old queen, and I'm a clever old queen », lâchera Amies à propos de Hartnell et himself. En revanche, comme Hartnell et Amies, les clientes de Woodcock sont les reines, les héritières, les socialites, les stars. Toute ressemblance avec... s'arrête là. Ou presque.
Avec ses trois Oscars, – bientôt quatre ? – DDL ne pouvant pas être gay, Woodcock ne l'est donc pas. Les midinettes seront soulagées. Dans le film, il apparaît émacié, ascétique, ombrageux, cheveux poivre-sel, tiré à quatre épingles, maniaquissime, dirigeant la plus lancée des maisons de couture de Londres avec sa sœur, Cyril, un brin goudou, et qui n'est pas sans évoquer la Gabrielle Dorziat de Falbalas – on n'en sort pas. Control freak comme pas deux, Woodcock fait des crises pour un rien, notamment à propos du mariage et de ses toasts du breakfast. Un jour, en virée dans les Costwods, il tombe raide dingue d'Alma, une serveuse d'auberge pointilleuse sur la saucisse du breakfast, ce qui va les rapprocher love-love. Le couturier va faire de la serveuse son modèle, sa muse et peut-être sa femme. Daphné du Maurier et Alfred Hitchcock seront témoins. Ça va mal finir. Reynolds ne supporte plus Alma (prénom de la femme de tonton Alfred), qui est jouée par Vicky Krieps, une actrice luxembourgeoise. C'est bien la première fois qu'on voit une actrice luxembourgeoise au cinéma. Hélas, nous on trouve qu'elle ressemble un peu trop à Daniela Lumbroso. Ça gâche le plaisir. On préfère mille fois Lesley Manville qui joue Cyril. Topissime. Tous les costumes sont de Mark Bridges, nominé partout catégorie « Excellence in Period Films ». Traduire : la couture des années 1950 est désormais un costume historique. The New Yorker n'y est pas allé avec le dos de la cuiller à marmelade en décrivant Phantom Threadcomme un film sur la couture, la mode, la conduite du pouvoir et des voitures de sport (Aston Martin et Bristol) et sur les breakfast. Toujours est-il que Phantom Thread est un fabuleux mélodrame cousu main, déjà bardé de récompenses suprêmes et qui pourrait bien lancer la mode des Fashion Period Films, mêlant biopic et costumes griffés en satin duchesse. Ce ne sont pas les tsars de la couture bigger than life qui manquent et que le cinéma a bizarrement et injustement négligés, à commencer par Charles Worth, Paul Poiret, Jacques Doucet, Jeanne Lanvin, Elsa Schiaparelli. Idem pour les couturiers de Hollywood. Ainsi de Adrian qui habilla Garbo à la MGM, le Français Jean-Louis qui inventa la robe de Rita Hayworth dans Gilda et les robes de scène paillettées de Marlene Dietrich, mais encore Erté et Edith Head et Travis Banton. Tous brillantissimes, géniaux, légendaires, obsessionnels, et dont parfois la sexualité précipita leur déclin, sinon leur chute. Du matériel en or pur. En attendant, histoire de faire son cuistre en société, voici, en vrac, toutes les clés de la panoplie du couturier au cinéma, qu'il soit tissu d'invention ou biopiqué avec des épingles.
- Dans Phantom Thread, le personnage de Reynolds Woodcock évoque sans ambage le célèbre couturier anglais Edward Molyneux qui se partageait entre Londres et Paris. Même physique, même clientèle, mariage-éclair, caractère obsessionnel. Sa vie fut un roman.
- Placé entre le coureur automobile et le cow-boy au répertoire des personnages du cinéma, le couturier est un caractère maudit sur grand écran. Soit fofolle zouzoulala, soit rongé par une névrose gratinée qui le conduit au geste fatal. Chauve ou trois perruques chez Carita. Ceci dit, des couturiers plan-plan dînant en pantoufles avec bobonne, c'est pas bien crédible. Ou alors joué par Fernandel dans Le Couturier de ces dames (Jean Boyer, 1956), comédie troussée de fil blanc avec le comique-bouillabaisse tentant d'incarner un couturier parisien virtuose du ciseau, Fernand Vignard, montant sa maison de mode, Farden, au nez et à la barbe de Madame, incarnée par Suzy Delair avec toute la retenue qu'on lui connaît. Comme Fernandel avait déjà commis un Coiffeur de ces dames quatre ans avant, le public crut qu'il allait se taper tous les métiers frivoles du style entre deux Don Camillo. Ceci dit, dans Le Couturier de ces dames, il y avait un mannequin-vedette joué par une jeune Françoise Fabian, alors mariée à Jacques Becker, le réalisateur de Falbalas.
- Le premier couturier du cinéma remonte à 1926 : dans Sa Majesté la Femme (Fig's Leave), le comédien français André Béranger incarnait Josef André pour lequel l'héroïne du film, Olive Borden, perdait la tête et la traîne. Il s'agit du second film réalisé par Howard Hawks. Une curiosité...
- Dans Scandale sur les Champs-Élysées (Roger Blanc) tourné en 1948, trois mannequins sont assassinés chez le grand couturier Dominique Airelle incarné par Pierre Renoir, aussi crédible dans le rôle que Sally Spectra en reine de la mode dans la série Amour, Gloire et Beauté, le soap-couture de la télé des ménagères neu-neu. Le vrai couturier Jacques Fath y tient un petit rôle : normal, il avait prêté sa vraie maison de couture sise dans un hôtel particulier du 39, avenue Pierre Ier de Serbie, pour servir de vrai décor au film. À revoir, car injustement oublié, et doté d'une valeur esthétique singulière, quasi-documentielle.
- C'est Cecil Beaton qui, après My Fair Lady, signa les costumes de Coco, la comédie musicale basée sur la vie de Chanel, et créée en 1969 à Broadway par Katharine Hepburn puis jouée par notre Danielle Darrieux nationale.
- En 1952, Jean Servais, incarnation du cynisme chic à la française, est engagé par Jacques Becker pour incarner dans Rue de l'Estrapade le couturier Jacques Christian, le premier personnage du cinéma français ouvertement bisexuel. La vedette du film, Anne Vernon, toute en Jacques Heim, fait froisser ses taffetas dans les mansardes du Quartier Latin face à son mari qui la trompe, l'impavide Louis Jourdan, et son voisin qui la kiffe avec ses yeux de russe, le chaud-bouillant Daniel Gélin.
- Incarnant la créatrice de mode new-yorkaise Marilla Brown dans Designing Woman (La femme modèle, 1957) de Vincente Minnelli, Lauren Bacall (qui remplaçait Grace Kelly partie se marier à Monaco) fait la nique à son macho de mari, Gregory Peck, reporter sportif qui considère le job de sa femme comme vétille. Comédie féministe hollywoodienne, le film vaut pour l'impayable Dolores Gray et son caniche royal couvert de bijoux. En 1994, Bacall, elle-même ex-mannequin, jouera Slim Chrysler, la rédactrice-en-chef de Vogue rangée des coutures, dans Prêt-à-porterde Robert Altman. Méga-crédible.
- Oui, regardez-bien : c'est Dirk Bogarde dans Modesty Blaise (Joseph Losey) qui a inventé en 1966 le proto-look de Karl Lagerfeld.
- Les sœurs Micol, Zoé et Giovanna Fontana, trio de couturières romaines qui habillèrent le tout-Dolce Vita après avoir réalisé la robe de Linda Christian pour son mariage avec Tyrone Power, et signé la garde-robe entière d'Ava Gardner dans La comtesse aux pieds nus, furent les stars de la couture italienne, fêtées comme des reines jusqu'à New York. La RAI leur a consacré une mini-série navrante avec trois actrices caricaturales : Atelier Fontana : le sorelle della moda. Seule survivante à l'époque du tournage en 2011, Micol Fontana y effectuait une apparition, à la fin. Elle décédera trois ans plus tard. Elle avait 101 ans. Si le magasin romain est fermé, la marque Sorelle Fontana existe toujours, aux mains du propriétaire du Plaza, palace décadent de la via del Corso. Le titre dort dans un tiroir mais un salon de réunion a été baptisée Sorelle Fontana. Les lettres en plastique tiennent mal sur le tableau. On en pleurerait.
- Est-ce que quelqu'un a vu enfin le docu-biopic sur Alexander McQueen où c'est parti directo en VOD?
- Preuve que les couturiers ont été longtemps considérés comme des hétéros désaxés: en 1939, le réalisateur allemand Robert Siodmak tournait à Paris un drame intitulé Pièges, avec Erich von Stroheim jouant Pears, couturier déchu vivant reclus dans son hôtel particulier où il zigouillait des jeunes beautés habillées par Robert Piguet. Un autre réalisateur allemand exilé à Hollywood, Douglas Sirk, en fera un remake flamboyant en 1946, intitulé Des filles disparaissent (Lured) avec Boris Karloff, à jamais Frankenstein, jouant le même personnage mentalement dépatronné, ici nommé Charles Van Druten.
- Dans Traitement de choc (Alain Jessua, 1973), film thalasso-vampire qu'il est urgent de réhabiliter, Annie Girardotjoue une femme d'affaires ayant fait fortune dans le prêt-à-porter mais plongée dans un burn-out sentimental. Les petits malins y verront une allusion à Rose Smett, la sœur de Ted Lapidus, qui a fondé Torrente, ou à Gaby Aghion, fondatrice de Chloé. Hic : le peu de vêtements portés par Girardot parasite le décryptage.
- Dans la série la couture-c'est du champagne, les années 1955 et 1956 furent deux bons crus parisiens. Le couturier Jean Dessès habille Giselle Pascal (encore fiancée à Rainier de Monaco) dans Mademoiselle de Paris (Walter Kapps) : elle joue la seconde du couturier Maurice Darnal, qui « vaincu et ruiné par ses rivaux » est contrait de fermer sa maison de couture. Le fringuant Jean-Pierre Aumont est Darnal qui se refait sur la Côte d'Azur pendant que Giselle accompagne une grande vedette de la chanson, Jacqueline François. Ensemble, amoureux, ils remonteront à Paris ouvrir une nouvelle maison. Happy end. L'année suivante, réalisé avec un certain brio par Dimitri Korsanoff, Ce soir, les jupons volent porte une intrigue qui intrigue : le soir du 24 décembre, le couturier Pierre Roussel (Jean Chevrier, toujours smart et mâle) présente sa collection de printemps ! Du jamais vu au calendrier de la Chambre syndicale. Mais ça crise en cabine. Sophie Desmarets est amoureuse, Anne Vernon est amoureuse, Brigitte Auber est amoureuse, Nadine Tallier (future baronne de Rothschild) aussi. Il y a Eddie Constantine qui zone en coulisses et un très jeune Guy Bedos, mais le défilé sera un succès et tout le monde ira mettre le petit Jésus dans la crèche. Cette même année, décidément propice à la kütüre parisienne, Mannequins de Paris tourné par André Hunnebelle, froufroutera sur grand écran. Madeleine Robinson y est Véronique Lanier, célèbre directrice d'une grande maison de couture, mariée à Yvan Desny, lui-même dessinateur de mode. Qui la plaque pour une starlette libano-toc. Jamais sans mon couple : Mado sort les griffes, normal, elle est dans la mode, pour récupérer ce benêt de Yvan déjà largué par sa miss. Toutes les filles sont habillées par Jacques Heim, couturier officiel de Madame de Gaulle et très habitué des plateaux de cinoche.
- La première à avoir incarné Coco Chanel au cinéma fut Marie-France Pisier, Miss Cinémathèque, dans le second film anglo-américain de sa carrière : Chanel Solitaire, sorti en 1981. No comment.
- S'il est un couturier qui mériterait amplement son biopic, c'est bien Oleg Cassini. Né à Paris en 1913, filleul de la princesse Olga Paley, Oleg Cassini avait un frère, Igor qui deviendra le fameux et redoutable échotier mondain opérant sous le pseudo ravageur et collectif de Cholly Knickerbocker. Après avoir ouvert sa boutique de mode à Rome en 1930, Oleg Cassini œuvra un temps pour Patou à Paris avant de s'envoler pour New York puis Los Angeles. Il y deviendra le costumier attitré de la Paramount où il habillera les plus grandes stars (Veronika Lake, Rita Hayworth, Janet Leigh...) dans les plus grands films du studio comme The Shanghai Gesture dont il épousera la star, Gene Tierney, rencontrée sur le tournage en 1941. Après avoir refusé l'offre de la Warner de diriger le département design des studios, Cassini ouvrira en 1952 sa propre maison de couture et marque de prêt-à-porter, établies sur la 7e Avenue, à New York. Un temps et notoirement fiancé avec Grace Kelly, pas encore princesse de Monaco, il était aussi intime de Jacqueline Kennedy qui l'imposera comme LE couturier de la Maison Blanche. Inventeur du Jackie Look, première fashion-celebrity du monde, Oleg Cassini effectua de nombreuses apparitions au cinéma, souvent dans son propre rôle. Couvert d'honneurs, marié quatre fois, il s'éteindra en 2006. À lire : Oleg Cassini, My Own Fashion, publié en 1987. Les droits sont libres...
- Pour le biopic sur Galliano, il n'y aura qu'à faire un montage de tous les films de Douglas Fairbanks.
- C'est Lady Gaga qui aurait dû interpréter Donatella Versace dans la série The Assassination of Gianni Versace, second thème-saison de American Crime Story, après O.J. Simpson. Fake news démentie fissa par la prod' en même temps que la famille Versace manifestait son désaccord sur l'ensemble du projet, tourné à Miami. Alors que d'immenses affiches s'étalaient dans Milan, annonçant le premier épisode pour le 19 janvier 2018, la maison Versace bombardait les journalistes de mails les prévenant que la série était une pure fiction. Gianni Versace est joué par Édgar Ramirez, son boyfriend par Ricky Martin et Donatella par Pénelope Cruz, adoubée par la vraie Donatella. Faudrait savoir...
- Donatella again mais avant : en 2013, elle fut « habitée » pour la TV US par Gina Gershon, l'autre maudite à grosse bouche de Showgirls de Paul Verhoeven. Bluffante. The House of Versace racontait comment Donatella a remonté la pente après la mort de Gianni. C'est trash, y a même Raquel Welch dedans. Il paraît que le titre français était La femme aux mille visages. Interdit de pouffer.
- Le fameux couturier australien Orry-Kelly, qui habilla Bette Davis dans tous ses films à la Warner, a frôlé le biopic quand Gillian Armstrong réalisa en 2015 Women He's Undressed, un documentaire où Jane Fonda et Angela Lansbury venaient raconter leurs souvenirs. Intéressant mais insuffisant.
- Lucien Lelong, qui fut le roi des couturiers parisiens de l'entre-deux-guerres, mériterait lui aussi un biopic tant sa vie fut romanesque. Il fut surtout marié à la splendide Nathalie Paley, princesse russe de haut lignage plus proche des Romanoff que le pape de Saint-Pierre, muse impérieuse et quasi-mutique de Cocteau pour qui elle apparut dans Le Sang d'un Poète et égérie mondaine du cinéaste Marcel L'Herbier. Quelques films, toujours somptueusement habillée, évidemment par Lelong, notamment dans Folies Bergère, réalisé par Marcel Achard en 1935 avec Maurice Chevalier. Après un passage-éclair à Hollywood, Nathalie Paley, courtisée jusqu'au désespoir par Saint-Éxupéry, s'installera à New York avant de devenir l'attachée de presse du couturier Mainbocher. Divorcée, remariée à un producteur de théâtre réputé gay, Nathalie Paley est morte en 1981, oubliée et recluse. Dix ans après avoir fermé sa maison de couture, Lucien Lelong est décédé en 1958.
- C'est la vraie voix de Yves Saint-Laurent qui « double » celle de Helmut Berger, strictement bluffant dans Saint-Laurent, le biopic de Bertrand Bonello (2014), supérieur au biopic rival de Jalil Lespert, avec Pierre Niney.
- Prêt-à-Porter de Robert Altman. Sans doute le plus gros navet du cinéaste et il a fallu que ça tombe sur le monde de la mode. Le projet était mal parti : Altman avait sollicité toutes les maisons parisiennes pour venir tourner leurs défilés et surtout pour financer le film. Poliment éconduit – tourner oui, raquer, non –, le réalisateur qui voyait dans la mode une immense farce grinçante, finira par toper-là avec Sonia Rykiel. Vanité, besoin d'exister, envie de règler quelques comptes ? Produit par la Miramax des abominables frangins Weinstein, Robert Altman's Ready-To-Wear rameutera un casting multi-stars : Sophia Loren en veuve du président de la Chambre syndicale de la Mode, brièvement joué par Jean-Pierre Cassel ; Anouk Aimée en Simone Lowenthal, créatrice de mode fondatrice de la griffe Simone Lo, et maîtresse de Cassel ; Rupert Everett en fi-fils à Simone, mais aussi la démentielle Tracy Ullman en journaliste du Vogue anglais, Sally Kellerman en journaliste du Harper's Bazaar, Linda Hunt en journaliste du Elle, on en passe et des meilleurs – Marcello Mastroianni, Michel Blanc, Lyle Lovett, Julia Roberts, Tim Robbins, Ute Lemper, Jean Rochefort, Rossy De Palma, Kim Basinger... Sans oublier les cameos assurés par Christian Lacroix, Jean-Paul Gaultier, Issey Miyake, Gianfranco Ferrè, Thierry Mugler, Sonia Rykiel, l'escadron des supermodels muglerins (Naomi, Carla, Christy, Amber...). Chargée des costumes, la grande Catherine Leterrier devra composer avec la garde-robe de veuve de Sophia Loren, sur laquelle Ferrè, alors D.A. de Dior, avait la main. Habillée Rykiel, Anouk Aimée envoie son défilé « habillé » par Nino Cerruti. Xuly Bët réalisera la collection ethnique de Forrest Whitaker, incarnant le fashion designer Cy Bianco, tandis que Vivienne Westwood fournira celle de Richard E. Grant, jouant un autre fashion designer, Cort Romney. La seule bonne chose du film sera la B.O.
- Tout le monde parle de Cardin ces jours-ci, surtout Léa Salamé qui a découvert l'eau tiède. Faudrait pas oublier que le couturier a débuté par le cinéma en dessinant les costumes de La Belle et la Bête de Cocteau et qu'il est entré en mode par le costume de scène en rachetant la maison Pascaud, réputée pour avoir, entre autres, réalisé les costumes de Leon Bakst pour Les Ballets Russes. Ouvertement homosexuel, Pierre Cardin a vécu une belle histoire d'amour avec Jeanne Moreau. Le tourbillon de la vie : ça ne ferait pas un biopic qui tue ça ? Oui, mais sans Jeanne Balibar, SVP.
- Plus couture tu meurs : le réalisateur Jacques Becker est né en 1906 au 24, rue Cambon où sa mère, Margaret Burns, née en Irlande, dirigeait une maison de modes, bien avant que Gabrielle Chanel ouvre la sienne au numéro 21. Grandi dans cette ambiance, devenu cinéaste, Becker souhaitera, après plusieurs polars, faire un film sur la couture. Il en fera un drame, et sans doute LE plus beau film qui soit sur la mode : Falbalas. Face à l'adorable Micheline Presle, Raymond Rouleau incarne le couturier Philippe Clarence, sentimentalement torturé, sadisant sa fiancée et sexuellement mal défini ; il finera pas se suicider, défenestré, en entraînant dans sa chute un mannequin en osier. On a toujours dit que Clarence empruntait à deux couturiers alors célébrissimes à Paris : Jacques Fath, noceur patenté, et Marcel Rochas qui habille ici Micheline Presle. Le couturier, fort de sa clientèle cinématographique à Paris comme à Hollywood avait d'ailleurs ouvert un département de création dédié au cinéma au sein de sa propre maison de couture, fermée en 1955. Aujourd'hui grand classique du cinéma français, Falbalas reste éblouissant, morbide, sublime, fatal et dépeint la folie d'un créateur. Comme dans Phantom Thread, qui trace sa voie pour les Oscars...